On dit que les jeunes sont nés dedans. «La génération Net (ou M ou Z ou la lettre que vous voulez) n’a jamais connu un monde sans le web». C’est vrai.
Moi je n’ai jamais connu un monde sans télé. Mes parents n’ont jamais connu un monde sans électricité. Et mes grands-parents n’ont jamais connu de monde sans automobile.
Une génération entière entre maintenant dans les universités en ce moment et ils n’ont jamais connu un monde où ils ne pouvaient pas interroger une base de données pour trouver une réponse à un devoir ou naviguer sur des sites pour se documenter pour un projet.
«Comment c’était avant, le web?» demandent-ils aux vieux (cette catégorie d’âge qui commence à 25 ou 30 ans). Ils sont la première génération à ne pas avoir connu « l’avant ».
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Mais ils vont se faire poser des questions aussi…
Moi, j’ai bien le pressentiment que leurs enfants à eux vont leur demander cette question intrigante: «Dis papa, c’est quoi le web».
Ils devront expliquer à leurs enfants ce qu’est le web. Oh, le web ne sera pas disparu. Non, au contraire. Il sera partout, indistinguable, ubiquitaire, permanent. C’est l’idée de nommer une réalité comme si elle était extérieure à nous qui surprendra. C’est le concept que le web se trouvait confiné à un espace, celui d’un écran d’ordinateur. C’est le fait qu’on s’assoyait religieusement devant des claviers comme les moines se recueillaient devant le Livre.
«Oui, mon enfant, je devais taper sur un clavier ou un écran tactile pour aller une site». Cette notion d’aller sur un site (ou pire, d’aller s’asseoir à l’ordinateur pour ouvrir une fenêtre et taper une adresse URL) revêtira un charme suranné comme remonter un moteur avec une manivelle.
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Luc Viatour / www.Lucnix.be |
«Personne ne va plus se connecter à un site (ni à un ordinateur)»
Dans un article sur le site de Wired (The End of the Web, Search, and Computer as We Know It), David Gelernter, entrevoit ce futur-là comme celui du worldstream: le flot agrégée de toute la cybersphère.
Le web 2.0 a apporté le « temps réel » aux masses sur le réseau: tous les flux se résument à « ce qui se passe maintenant! »: dernière nouvelle, dernier film, dernières rumeurs, dernier score, dernier statut de vos amis…
«À la place des sites statiques d’aujourd’hui, l’information sera continue et constante dans le worldstream […]. Les gens veulent vraiment être en lien avec l’information.» Ils n’auront pas des navigateurs pour se brancher à un site statique. Ils auront un stream-browser qui filtrera le flot.
Il précise:
- Chaque source de nouvelles est un flux (livestream)
- Les contenus seront libérés du site (et filtrés par le navigateur)
- Le commerce en ligne ne se fera plus par «des visites» mais par un flux personnalisé
Le web qu’il décrit n’est plus le web d’aujourd’hui, chaotique, labyrinthique, statique. Il sera un long fleuve électronique, celui de l’histoire du monde en déroulement…
La pertinence du flux
Sous certains aspects, sa vision fait peur (notamment par l’enfermement sur soi que provoque une hyperpersonnalisation des flux). Mais il vise juste quand même.
Personne ne veut faire une recherche sur le web et tomber sur des «documents pertinents» en soi (sauf les académiciens). On veut savoir ce qui est pertinent pour notre communauté aussi! On veut savoir ce qui fait vibrer les autres (une nouvelle, un livre, etc)! On veut être dans le coup!
Les gens sur le web sont demandeurs de contenu pertinents, des contenus qui répondent à leurs questions. Pour tout type de question, il y a probablement une réponse en ligne. Mais soit il y a peu de réponses vraiment pertinentes disponibles et alors il devient difficile séparer le bruit du signal, soit il y a beaucoup de réponses de qualité raisonnable et alors on ne sait plus par où commencer.
Alors on compte sur le filtrage social pour nous aider. Le contenu peut être perçu comme pertinent s’il l’est aussi dans la communauté.
Les sceptiques qui brandissent leur doigt en signe de protestation et disent que
ça génère des « Gangnam Style » n’ont pas compris. La culture fonctionne de cette façon depuis l’avènement des médias de masse. La «
British Invasion» n’est pas autre chose que le
K-Pop de l’époque où il n’y avait que des transistors et des 33-tours en vinyle. Et les Beatles était leur PSY (chanteur de Gangnam Style). Chaque génération a la pop qu’elle mérite.
Les réseaux font circuler des contenus pertinents, pertinence établie selon la compétence des membres du réseau auquel on est relié. On fait confiance aux gens de notre réseau parce qu’ils sont proches et ils deviennent « compétents » dans un domaine de connaissance quand ces intermédiaires nous transmettent régulièrement des contenus de qualité raisonnable. Ça peut être le journal local ou un Australien à l’autre bout du monde. La proximité n’est pas seulement géographique. Ils peuvent être producteur de contenu ou simplement un « curateur de contenu », c’est-à-dire quelqu’un qui filtre le contenu « pertinent ».
Il faut que votre contenu soit pris en considération par des gens dans un réseau pour qu’il devienne pertinent, au moins du point de vue social et culturel. C’est parce qu’on le trouve intéressant et riche de sens qu’on le recommande aux autres. Sinon, le filtrage social ne fonctionne pas.
Mes amis les objets
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Nos réseaux sociaux vont s’augmenter d’objets dits intelligents qui vont eux aussi nous partager des informations « pertinentes ».
C’est déjà commencé avec nos cellulaires ultra-paramétrés où des alertes nous avertissent quand un ami se trouve à proximité ou qu’une aubaine se trouve sur Groupon.
Si vous trouvez ces exemples futiles, c’est que vous vous intéressez simplement à autre chose. Vous allez vouloir demain que votre thermostat Nest 2.0 vous avertisse avant de sortir que la température a baissé de 20 degrés (ou augmenté de 20 degrés, avec le dérèglement de la planète ça varie comme ça un jour sur deux). Ou alors c’est votre GPS en voiture qui va vous avertir qu’il serait souhaitable de changer de route.
Mais dans tous les cas, «on n’ira plus sur le web» de la même façon qu’aujourd’hui.
L’idée même de « se connecter » sera aussi oublié que celui d’être « électrifié », comme on disait jadis pour être relié à l’électricité…
Effectivement, la culture, c’est Gangnam style, n’en déplaise aux facheux.
Ce qui est spécifique aux temps présents, il me semble, c’est le fait que depuis 50 ans, chaque génération doit digérer un média majeur. Et Internet donne une accélération de plus puisqu’il contient tous les média : le télégraphe, le téléphone, la télévision, la radio, l’imprimerie. L’effet de super-accélération est due au fait que l’internet apporte des extensions dans les domaines privés, particulier, et au niveau des communautés et des société.
l’avenir proche nous réserver encore bien des surprises!
Yann, oui, absolument d’accord. À chaque génération, un nouvel outil pour se connecter au monde. Alors que depuis des générations, c’est à travers les parents qu’on apprenait le monde (transmission des savoirs et des compétences, du vieux vers le jeune), maintenant, c’est l’inverse. Le jeune apprend par lui-même et le montre à ses parents, largués. Le flot s’est inversé. Forcément, ça finit par changer quelque chose…
Deux articles qui vont dans la même veine:
– http://blogs.cisco.com/news/the-internet-of-everything-has-begun/
– http://www.wired.com/opinion/2012/12/the-internet-of-everything-lets-get-this-right/
P.-S. Oui, Cisco est un client 😉