Quand Jean Michel Billaut titre un de ces billets « MOOC : « LA » révolution de l’éducation au niveau Monde», on sait qu’on touche quelque chose qui enflamme les imaginations. Lorsqu’ensuite Claude Coulombe ajoute sur G+ que les «[MOOC] vont tout changer! Croyez en M. Christensen si vous ne me croyez pas… En fait, je ne vous demande pas de me croire, je vais m’efforcer de le démontrer dans mes prochains billets.», on voit que ça touche les passions!
Il y a de quoi! Les MOOC représentent le dernier avatar de l’esprit des Enyclopédistes et des Lumières
Les MOOC arrivent!
On appelle ces nouveaux cours des «cours en ligne ouverts et massifs», traduction littérale de l’anglais «massive open online course» ce qui donne l’acronyme «MOOC». Certains disent CLOM en français. Pas sûr si cette traduction littérale sera retenue.
Ce qui frappe l’imagination? Il arrive fréquemment que 100 000 personnes de partout à travers le monde soient réunies pour un MOOC. Ce n’est pas banal.
Internet est-il en train de bouleverser l’enseignement supérieur? Est-ce que ce phénomène va venir toucher nos universités francophones?
J’ai écrit deux billets sur le sujet des MOOC récemment sur mon autre blogue, Triplex à Radio-Canada
À quand les MOOC en français?
La course au MOOC
Made in Canada
L’acronyme «MOOC» en anglais est apparu en 2008 lors d’un cours organisé par Georges Siemens de l’Université d’Athabasca en Alberta et Stephen Downes du Conseil national de recherches du Canada
Ils devaient cours à 25 étudiants de l’Université du Manitoba, mais durant l’été 2008 mais ils ont décidé également d’ouvrir en ligne et plus de 2000 participants ont décidé d’embarquer.
Est-ce si différent?
Ça ressemble à première vue à une formation à distance comme on peut en trouver dans une télé-université (Yoohoo, Teluq!!). Mais les MOOC ont un petit quelque chose de différent des cours à distance traditionnel.
1) La fréquence des cours se donne comme un cours en classe normal, c-à-d à chaque semaine, durant 10 à 15 semaines, et non tout d’un coup comme un cartable bourré de notes de cours qu’on reçoit par la poste (ou par dans un lien courriel)
2) On peut être des milliers à le suivre le cours en même temps, d’où sont nom de «cours massif»
3) Ils sont gratuits, d’où le nom de «cours ouverts»
On peut en rajouter un 4e: le fait que les MOOC utilisent souvent les outils déjà en place dans l’écosystème du web 2.0 comme Facebook ou Google + Hangout, les forums, les bulletins, etc.
Plusieurs tentatives lancées par Yale, Oxford ou Stanford durant les années 2000 ont fait patate. Ces cours à distance étaient sommes toutes assez classiques: une longue vidéo d’une heure et beaucoup de textes à lire. Et l’étudiant travaille seul dans son coin, seul.
De plus, les cours étaient payants et ne donnaient pas de crédits universitaires. Et vous, une vidéo d’une heure d’un prof qui parle? Est-ce stimulant?
Le premier MOOC de Siemens et Downes avait une approche assez stimulante: on ne sentait pas que le cours était statique, immuable: il vivait en fonction des interactions des étudiants. Cette façon de faire est devenue la base de ce qu’est un cours vraiment innovateur.
– Leur cours reposait sur un partage des savoirs entre les apprenants et sur un simple transfert de connaissance du professeur vers les élèves.
– Les objectifs d’apprentissage sont définis par chaque participant pour lui-même. Les professeurs étaient là aussi pour apprendre du processus.
– La plateforme d’échange permettait aux étudiants d’être en relation entre eux en même temps qu’avec les professeurs.
En pédagogie, on appelle cette approche le «connectivisme»: c’est un apprentissage qui se fait en groupe, en réseau, et qui tient pour acquis que les liens que l’on va bâtir avec les autres pour apprendre sont plus importants que les connaissances elles-mêmes, car ces informations dans un monde en mutations changent constamment.
C’est l’approche des gens comme Mario Asselin et probablement aussi ceux qui se réunissent à Clair une fois par année.
Not your cup of tea?
Ce n’est pas toutes les matières qui se prêtent à cette pédagogie ou tout le monde qui peut aimer cette approche pédagogique.
C’est pour ça qu’on distingue deux genres de MOOC
1) les cMOOC (c pour connectivisme). C’est ce que Siemens et Downes ont fait ! C’est parfait pour se bâtir des connaissances dans un domaine en émergence, nouveau, pas encore bien balisé. Leur premier cours était d’ailleurs un cours sur le concept même du connectivisme. C’est dire le niveau de mise en abîme! Durant toute la session, ils ont exploré les possibilités du concept et ces limites
2) les xMOOC (x je crois pour Xfer, transfer). Si on veut apprendre la programmation ou la neuroscience médicale, une approche plus classique est davantage appropriée: ces cours se concentrent sur la transmission de savoirs déjà existants d’une façon plus magistrale.
Ces xMOOC a une forme beaucoup plus modulaire: les vidéos des professeurs ne font que quelques minutes et non pas une heure, le temps de présenter un point ou un concept, et hop, ensuite on fait un exercice pour savoir si on a bien intégré la leçon et on passe à la leçon suivante.
Les cours sont déposés chaque semaine. Mais on peut les suivre à son rythme. Par contre il y a quand même une date limite pour remettre les devoirs, même si ce n’est pas chaque semaine. Quoique si on prend trop de temps, on perd des points.
Le but, quand même, est de recevoir son attestation de suivi du cours. Ça n’a pas nécessairement la même valeur qu’un diplôme, mais tout de même: quand l’attestation vient de Harvard ou MIT, ça impressionne.
Bouleversement de l’université en vue?
Il est encore trop tôt pour le dire, mais ce qui est clair, c’est que pour la première fois, les cours en ligne gagnent vraiment en popularité. Et pas juste parce que c’est gratuit. Le certificat d’attestation et la notoriété des universités jouent pour beaucoup.
Moi je ne hais pas l’idée de rajouter à mon CV le fait que j’ai suivi un cours au MIT!
Mais ces xMOOC en soi ne vont pas révolutionner l’université en tant que telle.
C’est plutôt la façon de fréquenter l’université qui pourrait partiellement changer. C’est quelque chose qui va se développer en parallèle des activités existantes.
Les cours en ligne vont représenter une part non négligeable de la formation dans un monde où on sera obligé d’apprendre en permanence.
Dans mes deux billets sur Triplex j’insistais pour dire que le véritable enjeu pour les universités, c’est la popularité que MOOC procure. Les bénéfices financiers que les universités peuvent espérer tirer des MOOC sont plutôt minces dans l’état actuel des choses.
Plus les cours à distance deviennent chose commune, plus la distance géographique n’est plus un élément important dans le choix d’une université. Créer une notoriété avec un MOOC n’est pas à négliger.
Le véritable problème, c’est que les universités francophones n’ont pas de stratégies en place, sauf quelques tentatives. C’est encore embryonnaire.
Les MOOC américains attirent toutes les personnes qui veulent vraiment apprendre, mais qui n’ont pas les moyens financiers, ni la possibilité de se déplacer vers un grand centre d’enseignement.
Pour l’instant, ce sont les Américains qui attirent ces gens assoiffés de connaissance. Y compris les francophones. (Allo l’Afrique. Allo la Francophonie!)
Espérons que ces initiatives ci-dessous vont faire boule de neige.
- HEC Montréal a offert son premier cours l’automne dernier : Introduction au marketing (avec 40000 participants). Et, le 12 mars prochain, débutera Comprendre les états financiers (45000 personnes y sont déjà inscrites).
- ITYPA: acronyme pour « Internet : tout y est pour apprendre », le premier cours portant sur le thème Comment fonctionne un MOOC a eu lieu en 2012.
- L’École centrale de Lille : Gestion de projet.
- L’École Polytechnique fédérale de Lausanne : Introduction à la programmation orientée objet (en Java), sur Coursera
Les plateformes américaines
Il existe 3 grandes plateformes populaires en ce moment:
Udacity
C’est un professeur de Stanford (Sebastian Thrun) qui a quitté son poste de professeur, quand il a vu que les cours en ligne que son université offrait attirait des milliers de personnes. Il a créé sa plaforme et fait ses propres cours avec des collègues. Il y a pour l’instant une quinzaine de cours, de l’intelligence artificielle à la programmation en passant à la statistique. Il y a presque un demi-million d’inscriptions.
Coursera
Avec le succès d’Udacity est sorti en avril 2012 Coursera. Mais à la différence d’Udacity, qui bâtit ses propres cours, Coursera préfère du partenariat avec des universités comme l’université de Toronto, Standford, Duke et Princeton. On y trouve des cours moins orientés technos comme la sociologie, la philosophie, ou des cours sur la chimie. 2 millions d’internautes se sont inscrits.
edX
C’est le MIT qui est derrière cette plateforme, associée avec Harvard et Berkeley entre autres. C’est une réaction de ces universités pour éviter de laisser le terrain libre à Coursera. Les cours sont centrés sur l’informatique et les disciplines scientifiques, comme des cours d’intelligence artificielle et d’introduction à la programmation.
Réinventer l’université?
Commence bientôt le Sommet de l’éducation supérieure, ici au Québec. Les MOOC comme solution? Hum. Je crois que ce sont les cours de base, répétitifs, que de toute façon les professeurs laissent aux chargés de cours qui partiront dans les MOOC si on devait aller de l’avant. Alors je suis craintif pour leur jobs de ces chargés de cours.
Mais au delà?
Claude Coulombe y va franchement:
«Ce n’est qu’une première étape. La partie invisible des [MOOC] est la collecte massive des données sur le comportement des étudiants. On parle ici du traitement de données massives (en anglais Big Data) dont les résultats serviront à améliorer les [MOOC] de la prochaine génération.» (Source)
Je ne sais pas si vous saisissez, mais l’enjeu ne se trouve pas nécessairement au niveau de l’individu. Peut-être même pas au niveau de l’université, mais de toute une société. Connaître les patterns d’études permet de mieux adapter l’enseignement. Voilà peut-être une façon de voir les bénéfices d’un MOOC.
Claude Coulombe a fait un calcul rapide et ça montre que les MOOC ne revient pas si cher à produire par étudiant (s’ils sont massivement là, évidemment).
Si la Francophonie se mettait à y penser, il y a là une façon de retenir ce qui nous lie encore ensemble…
C’est donc à suivre
Voici un extrait de La Sphère où on en parlait en début d’année:
Je ne sais pas comment les MOOC vont changer la donne pour les universités, mais ce que ça change, c’est le concept d’éducation permanente. Dans The race against the machine, les auteurs soulignent entre autres pourquoi il faut une population éduquée pour travailler de paire avec les technologies modernes, notamment informatiques. Mais ce sont des domaines en constante évolution. On ne peut plus, on ne pourrai plus jamais se contenter de ce qu’on a appris à l’université, quand bien même on aurait fait un doctorat.
Sauf qu’une fois au turbin, il devient extrêmement difficile de retourner aux études. Je l’ai fait et c’était vraiment difficile à concilier avec un emploi à temps plein et une vie familiale. Mais avec les MOOC, tout ça change. Je peux faire mon cours quand bon me chante; de toutes manières je ne le fais pas pour avoir un diplôme mais pour actualiser mes connaissances. Donc inutile de bacchoter pour avoir un A*, je veux découvrir et pratiquer des nouveaux concepts. De ce que je vois dans les cours MOOC que j’ai fréquenté, une bonne partie des participants sont des adultes et c’est de ce point de vue que c’est une bête radicalement différente de l’université pour le moment.
Petite remarque sur xMOOC et cMOOC: actuellement en médecine, les étudiants (au moins à l’UdM) apprennent une bonne partie de leurs cours par la méthodologie APP (apprentissage par problème) où les étudiants se font donner un problème, font leurs recherches puis en discutent en groupe. C’est donc surtout une approche connectiviste et ça s’applique très bien pour la médecine et pas juste pour les domaines en émergence. Ça prend aussi des cours magistraux mais pas pour tout.
Ajout: Autre élément intéressant des MOOCs: ce n’est plus seulement les universités qui peuvent donner des cours. Certes, les Coursera et autres edX (et même Udacity) viennent du milieu universitaire. Mais à titre d’exemple la Knight Foundation a fait un MOOC sur la visualisation de données.
Tout comme les données ouvertes, le mouvement va se propager d’un domaine spécifique au milieu des affaires. Mettons que si j’étais Microsoft, je me précipiterai à faire des formations MOOC. En tous cas, certains vont assez vite comprendre qu’en propageant la connaissance de leurs technologies, ils propagent leur technologie. Avec les MOOC, ça se fait à coût assez faible.
Je salue chaleureusement ton intérêt grandissant pour le MOOC. Je pense que ta passion grandirait de façon exponentielle si tu avais l’occasion d’aller faire un tour à Clair. Si ça t’intéresse, je te propose de faire du co-voiturage l’an prochain 😉
Il n’est pas nécessaire d’attendre que les universités francophones prennent le leadership dans ce domaine pour amorcer son implantation. Les expériences peuvent être pilotées par des professionnels du connectivisme comme nous et ceux qui font partie de nos réseaux.
Nous co-apprenons ensemble par une veille active et par la circulation des contenus découverts. Nous n’avons tout simplement pas structurer ces partages dans une approche pédagogique comme le MOOC.
De mon côté, je suis inspiré par Nike: Just do it! 😉
Bonjour Martin,
Merci d’avoir lu si attentivement mon article sur Thot Cursus et d’en avoir repris quelques informations importantes. Tu souhaites que la francophonie s’y mette… Elle s’y met. L’AUF a un projet de MOOC en direction de l’Afrique francophone. De plus amples nouvelles très bientôt…
Merci Martin d’alimenter ma réflexion. Les MOOC pourraient devenir une solution aux problèmes de mises à niveau, de propédeutique.
Une façon aussi d’enseigner la veille active. Je teste quelques trucs avec un groupe de 100 étudiants en ce moment.
Liste:
http://thescienceofreality.tumblr.com/post/28779441197/academic-earth-and-open-culture-offer-dozens-of
Merci à tous pour vos commentaires, liens et invitation. Je regarde avec envie Clair de loin depuis ses débuts. La technologie n’a pas réussi à nous donner des jours de 48hrs encore ni des semaines de 10 jours. Ce serait pratique pour réussir à aller à Clair et suivre tous les MOOCs et ses développements.
Je vois en filigrane comme un parallèle entre ce phénomène et ce qui est arrivé à la presse il y a quelques années quand les journaux ont mis leur contenu gratuitement sur la toile. Des années plus tard, ils peinent à monétiser leur contenu et c’est un peu le sauve-qui-peut dans l’industrie.
Assistera-t-on à la même « gaffe » avec le savoir universitaire ou, au contraire, verra-t-on un modèle plus proche de celui du casual gaming avec un contenu de base gratuit et des contenus complémentaires payants et potentiellement lucratifs pour les plus populaires ?
Je serais vraiment curieux de savoir ce qui s’imagine comme modèles(s) actuellement dans le milieu. Parce que si tout n’est pas qu’argent, on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas… Cf. les problèmes structurels de financement des universités ici au Québec.
Antoine, bon parallèle. La question du modèle d’affaires doit être au sérieuse et doit être résolue (le comme freemium)