Depuis cette semaine, on sait donc que la machine peut jouer sur le terrain des questions/réponses au contexte flou avec une pertinence et une rapidité surprenante. C’est en tombant par hasard hier sur un jeu télévisé où un concurrent devait se souvenir du nom du pays, de son nombre d’habitants, de sa capitale et sa monnaie légale à partir des drapeaux disposés devant lui qu’il m’est apparu aussitôt archaïque cette volonté d’admirer les capacités robotisées de la mémoire hypertrophiée d’informations encyclopédiques des candidats. Et du coup, de certains experts…
Watson a gagné. On ne voit pas encore tous les changements symboliques et réels que cela apportera. Voici un petit retour de ce qui s’est dit d’intelligent sur le sujet cette semaine.
Ce billet fait suite à mes deux précédents sur le sujet: Exponentiel, mon cher Watson et Watson 1er
Dans L’Expansion, Raphaële Karayan a recueilli les propos de Jean-Gabriel Ganascia, en science de la cognition:
Que nous montre cette expérience en matière d’intelligence artificielle ?
Jean-Gabriel Ganascia: «Herbert Simon, chercheur à l’Université de Carnegie Mellon, qui a développé Watson avec IBM, avait annoncé en 1957 que les ordinateurs deviendraient capables d’écrire de la musique et de devenir champions du monde d’échecs. On lui rétorquait que c’était impossible. Et puis il y a eu Deep Blue. On a alors dit: « ce n’est pas vraiment de l’intelligence, c’est du calcul abstrait et systématique. La vraie intelligence, c’est le langage. » Là, on voit qu’un ordinateur est capable dans des situations très concrètes de se débrouiller de façon étonnante.»
Dans son blogue Automates intelligents sur Le Monde, Jean-Paul Baquiast dresse un portrait réaliste des impacts prochains sur le monde du travail
Ce que l’on pourrait en conclure concernant l’Intelligence artificielle.
Jean-Paul Baquiast: «Contrairement à ce que l’on croit, les plus menacés seront ceux qui font aujourd’hui appel aux formes élaborées de la compréhension du langage naturel et du jugement, en s’appuyant sur des quantités considérables de connaissances accumulées aussi bien dans leurs cerveaux que dans les sources de documentation qu’ils utilisent.»
Ce sont les professionnels qui ont une expertise reposant sur leur capacité à emmagasiner des informations mémorisées et à faire des inférences complexes (on pense aux médecins, aux avocats, aux enseignants, dans leur aspect «question / réponse» de leur emploi) qui peuvent craindre le pire avec le retour en force des «systèmes experts».
Jean-Paul Baquiat reste toutefois sceptique face à une approche informatique basée sur la «force brut» de la machine, face à l’homme qui restera toujours plus imaginatif et créatif.
C’est ce qui lui fait dire que Watson n’est pas une forme d’intelligence artificielle (simulation de l’intelligence) mais une forme d’intelligence augmentée (assemblage et recoupement de connaissances).
Avez-vous lu d’autres conclusions intelligentes sur le sujet?
merci pour ce partage
Toujours moyen de dire que l’homme sera toujours plus imaginatif et créatif. Quel homme, spécifiquement? Le plus imaginatif et le plus créatif? Watson fait objectivement mordre la poussière à la majorité des êtres humains de langue anglaise. Point final. Et pour ce que j’en sais de son architecture, avec un peu d’effort, il en est de même pour la presque totalité de l’humanité dans un contexte de conversation. Si la machine peut se substituer à la majorité de l’humanité dans un contexte de conversation, quel est le propre humain, vraiment?
Vincent Olivier, je dois avouer que Watson m’a pris par surprise. Quel homme? Je suis obligé de dire que c’est probablement une redéfinition de l’homme que je dois donner. La vraie question: combien de temps allons nous re-redéfinir l’homme avant de trouver sa vraie spécifité face à la machine? Je croyais vraiment pas que si tôt après nos conversations de 2004 que j’en serais à m’y retrancher. Tout ce qui est computationnel n’est pas le propre de l’homme, à l’évidence. Ton argument, si je ne simplifie pas trop, était et est encore que tout est computationnel. Pour répondre à la question, il faudrait trouver les endroits qui ne le sont pas. J’ai la certitude qu’il y a en a. Mais ce n’est pas un argument. Le contre-argument que j’émettais à l’époque consistait en ceci: que si conceptuellement tout était computable, il fallait trouver une architecture qui consomme moins d’énergie pour arriver à battre l’homme. Watson est encore très spécifique. Mais cette brèche permet de croire que la « conversation » sera possiblement atteignable. Ça reste à prouver. Mais je ferais mieux de mon côté de commencer à étoffer mon intuition si la technologie est capable d’un tel virage exponentiel…
Vincent Olivier, dans ma recherche, j’ai trouvé un billet sur les cellules automates qui pourrait apporter un éclairage au débat (et pèse plus en faveur de ta position, avec qq petites nuances): Digital Philosophy II: Are Cellular Automata Important?