Un ami qui enseigne dans une université du Colorado m’a pointé vers un article du Economist, «The disposable academic – Why doing a PhD is often a waste of time, sur la valeur du doctorat aujourd’hui. «Pourquoi faire un doctorat est-il une perte de temps?». Étrange. Lisons
L’article traite de la surabondance des détenteurs de doctorat dans un monde qui trouve qu’il y en a trop (trop? Comme si la Terre pouvait être trop bleue!) D’aucuns vont même jusqu’à dire qu’entrer dans la course au doctorat est comme entrer dans un schème pyramidal de Ponzi, lit-on.
L’argument principal apporté par l’auteur consiste à se demander si les doctorants qui graduent gagnent plus que ceux du baccalauréat. Une étude britannique démontre que détenir un baccalauréat permet d’avoir des revenus 14% supérieurs à ceux qui auraient pu aller à l’université, mais qui ont décidé de prendre un autre chemin. Pour un doctorat, cette moyenne est de 26%. Où se trouve le problème?
La comparaison perd de son éclat quand on la compare à la «prime» d’avoir une maîtrise, formation qui prend moins de temps qu’un doctorat: 23%.
L’étude montre donc qu’en moyenne avoir un doctorat ne donne que 3% «d’avantages salariaux» par rapport à une maîtrise. Et encore, pas pour tous les domaines: en math, informatique, science sociale et linguistique, cette différence s’estompe. Et en «engineering and technology» (je ne connais pas l’équivalent français) ou en architecture et éducation, l’avantage disparait complètement et devient négatif.
Il faut probablement relativiser ces chiffres britanniques. Mais on est surpris qu’il n’y ait pas plus de différence.
Malus au doc
L’article conclut en racontant que les nouveaux docteurs trouvent difficilement leur place dans le marché malgré leurs talents. Ou plutôt que les talents collatéraux acquis au Doc sont d’une faible utilité dans un monde où le savoir technique doit être assimilé rapidement et présenté clairement et simplement à une vaste audience (comme si le soin apporté à la rédaction et à la validation ne trouvait plus preneur).
L’article mentionne que certaines universités commencent à offrir à leurs doctorants des cours de «soft skill» (hum, un traducteur dans la salle?) comme la communication et le travail en équipe pour les préparer au marché du travail.
Il n’est pas fait mention dans l’article des raisons autres qu’économiques qui motivent une personne à faire un doctorat, mais l’argument financier fait tout de même mal.
Superflue, super flûte!
L’universitaire semble s’empêtrer d’une connaissance superflue s’il se spécialise trop académiquement. Pénalisé par sa persévérance, en quelque sorte. Ou est-ce alors l’Université qui produit trop d’experts de niveau «académique» (particulièrement dans certains champs d’études) sans possibilité de les replacer dans son propre corps? C’est une des questions posées dans l’article — qui fait aussi le parallèle paradoxal avec un marché du travail qui se plaint d’un manque de ressources spécialisées. (Et revoilà le débat relancé quant à savoir si le rôle de l’Université est de servir les intérêts du marché ou non).
Je suis plus qu’intrigué par le fait que les doctorants ne trouvent pas leur place. Mais qui ne connait pas un étudiant dans cette situation?
Le savoir ordinaire
J’avais abordé il y a quelques années la montée du savoir profane, ce savoir non-académique, qui entre en compétition avec un savoir plus formel (voir un démonstration que j’avais proposée). Peut-être que le «just good enough» s’applique au savoir en entreprise. L’accès à l’information par internet rend-il la connaissance d’une information moins attirante que la compétence de l’acquérir? Cette compétence, effectivement, s’acquiert dès la Maîtrise.
Dans les domaines en ébullition (internet notamment), devient expert celui qui a lu 3 livres de plus que les autres. Dans le domaine des réseaux sociaux, des soi-disants experts n’ont probablement lu que quelques livres de plus que son client et suivent un ou deux bons mots clefs sur Twitter. À ne pas mélanger avec charlatan. Dans un monde informationnel en expansion, ces petites avances peuvent devenir des gouffres infranchissables en quelques années. L’expertise se métamorphose. Il faudra y revenir.
Et vous, qu’en pensez-vous?
Voici ma réponse d’étudiant en bio-informatique sur le point de déposer sa thèse de doctorat. Ce qui me pousse à obtenir ce diplôme n’est pas les avantages monétaires comme tels (quoi que dans le milieu universitaire la différence est intéressante), mais surtout le type de travail qui sera associé à ce diplôme (moins de travail « de bras », plus de réflexion, de rédaction et de gestion du personnel). Donc, quand on reste dans le milieu de la recherche universitaire, le doctorat me semble utile. Cependant, des gens ayant une technique ou un baccalauréat pourront parfois obtenir dans des entreprises privées un salaire rivalisant avec le miens, avec de meilleurs avantages sociaux et moins de stress. Finalement, c’est valoriser le travail intellectuel par rapport à l’argent.
Frédéric, c’est une raison tout à fait intéresante! 😉
intéressante
« Soft Skill » tu devrais connaître Martin ? Surtout toi qui travaille dans le système de l’éducation! Compétences transversales 😉
soft skill = compétences transversales
Excellent billet! Je termine une maîtrise en science de l’information en juin et je me prépare à faire ma demande d’entrer au doctorat dans la même discipline. Bien que ma décision était prise et que mon sujet de recherche sera en lien avec les médias sociaux, ton billet m’a permis d’alimenter et d’orienter mon travail de réflexion. Merci!
Bonjour Martin,
Je ne suis pas surpris de la non reconnaissance par le monde de l’entreprise des doctorants (en règle générale). Le doctorat a toujours été le plus haut niveau « universitaire » et pas professionnel. Ce n’est pas pour rien que l’on a vu apparaître des « Mastère » qui sanctionne le diplôme avec une thèse professionnelle, c’est pour que ça parle plus aux entreprises.
Pour ma part, après mon master en sciences de l’information et de la communication, je pense entamer un doctorat dans cette discipline mais je ne me fais aucune illusion sur l’impact de ma sphère professionnelle. Je sais que la reconnaissance sera du côté des universités.
Après, je suis intimement convaincu que chaque doctorant doit faire sa propre com’. C’est lui qui doit évangéliser sur son sujet, parce que personne ne le fera pour lui (à part les labos disposant d’un communiquant avisé). Charge à chacun selon moi de valoriser son travail… comme en entreprise 😉
@+
Éric, Mme Claude, « compétences transversales »! Noté. Je connais tout à fait le terme en français.
Je me rends compte que toutes mes lectures sur le domaine relatif à l’éducation (blogues, livres) se font en français (d’où mon ignorance de la traduction anglaise).
Tout ce qui concerne Internet et les réseaux sociaux est en anglais (d’où mes anglicismes).
Règle générale mon auto-apprentissage des techniques et des technologies se fait dans la langue anglaise, et pour ce qui est des sciences humaines (monde académique, philosophique et sociologique) est en français (ou plus précisément européen — car la philo est surtout germanique).
La communication c’est moitié-moitié…
Guillaume-Nicolas, «Charge à chacun selon moi de valoriser son travail… comme en entreprise». Tout à fait d’accord. Même si je pense que ce n’est pas tout le monde qui est préparé et outillé…
C’est une piste qui expliquerait un certain lien logique entre la blogosphère et le monde académique: la blogosphère/médias sociaux est un vecteur de notoriété, crédibilité et d’autorité. Et donc de vulgarisation…
Je sais que tu connais mes derniers billets et conférences sur la crédibilité (même si ce n’est pas axé sur le monde académique) qui donnent des pistes sur ce sujet. Je met le lien pour ceux qui passent par ici.
Ma présentation «Crédibilité[s] : construction de l’autorité dans les médias sociaux»
Je crois que les «doctorants» des sciences humaines (mais pas seulement) sont l’avenir de la blogosphère (sérieuse).
La relève de la blogosphère
Les risques de l’usage d’un blogue dans le milieu académique sont tout de même réels.
Blogues : Universitaires à risque? .
La réflexion sur l’usage des outils «socionumériques» (J’aime ce terme!) dans le monde académique se poursuit, mais je crois qu’il répond en partie à certains besoins qui émergent…
« L’universitaire semble s’empêtrer d’une connaissance superflue s’il se spécialise trop académiquement »:
Tu sembles avoir une vision un peu restrictive du doctorat.
Le but du doctorat n’est pas simplement et uniquement d’aller chercher des connaissances de plus en plus pointues mais est, plutôt, d’établir (et d’apprendre à établir) des relations entre ce qui était auparavant disjoint. En outre, en établissant de nouvelles formes de connaissance, tu te formes toi-même aussi…et c’est probablement ce qui va te rester de ton doctorat après 20 ans.
James, je ne cherche pas à dénigrer l’acquisition de connaissance, mais à noter que cette caractéristique ne semble pas être perçue comme un avantage par le marché. Mais je suis preneur pour ce qui est de dire que «le but du doctorat est d’établir (et d’apprendre à établir) des relations entre ce qui était auparavant disjoint». Même si le marché ne reconnait pas à sa juste valeur (ni ne le paye en conséquence) cette compétence. –Mais on ne fait pas nécessairement le doctorat pour l’argent…
Martin,
Avec tout le respect que j’ai pour Éric et Mme Claude, je vais contredire leur traduction de « soft skills ».
Les soft skills relèvent plutôt des compétences sociales. La capacité d’interagir avec son prochain de façon constructive, la disponibilité, l’harmonie, le respect, l’altruisme, etc.
On dit de certaines personnes qu’elles sont « inaptes socialement »… voilà des gens qui manquent de « soft skills.
MS
Effectivement, je n’ai pas fait un doctorat (soutenu à 49 ans) pour une promotion sociale et un emploi, mais surtout pour enrichir ma compréhension et ma capacité d’analyse du monde qui m’entoure.
Je l’ai commencé alors que je travaillais déjà depuis 15 années et que j’ai ressenti la nécessité d’aller plus loin. Je n’attendais pas de ce doctorat qu’il m’offre des compétences sociales, je les travaillais depuis longtemps dans mon activité professionnelle, mais qu’au contraire il me permette de mieux les « situer », les agir dans mon environnement professionnel