En tombant sur un interview d’Umberto Eco j’ai davantage compris son inquiétude devant une société qui propose à tous un accès universel à l’information.
Il propose une distinction entre deux groupes d’utilisateurs d’outils d’accès à l’information: les «pauvres» et les «riches». Ici «pauvres» et «riches» ne sont pas à prendre dans leur connotation matérielle, mais plutôt sous l’angle «d’évolution culturelle». Par exemple «un diplômé est riche, un analphabète est pauvre» (même si évidemment, il peut y avoir des exceptions).
Et ces outils d’accès à l’information, au sens large, c’est-à-dire la télévision, la presse, la radio, internet, n’apportent pas des bénéfices pour tous, selon le groupe qui l’utilise.
«Ainsi, la télévision fait du bien aux pauvres et fait du mal aux riches« dit Umberto Eco. «Aux pauvres elle a appris à parler italien ; elle fait du bien aux petites vieilles toutes seules à la maison. Mais elle fait du tort aux riches parce qu’elle les empêchent de sortir voir d’autres choses plus belles au cinéma ; elle leur restreint les idées.»
«L’ordinateur en général, et internet en particulier, font du bien aux riches et du tort aux pauvres. À moi, Wikipédia apporte quelque chose, je trouve les informations dont j’ai besoin. Mais cela est dû au fait que je n’ai pas une confiance aveugle en elle […]»
Puisque que les riches sont cultivés, ils sont en mesure de croiser et vérifier les sources. «Le pauvre en revanche gobe la première affirmation qui passe, et point final. Autrement dit, il se pose pour Wikipédia, comme pour Internet en général, la question de la vérification des informations.» Internet conserve autant les bonnes que les mauvaises informations. On y trouve, virtuellement, tout et son contraire.
Sans recoupement des informations, «s’informer» chez les pauvres équivaut à jouer à la loterie.
Avant notre monde de surabondance d’information, l’information était (en proportion) plutôt rare. Ou plutôt, le coût de production et de diffusion des journaux, des émissions de télévision, et des livres limitait la quantité, et forçaient un tri de pertinence a priori. La rareté (relative) et la validation avant diffusion nous permettait, sans trop de mal, de se fier à ce qui existait. Disons que la probabilité était de notre côté.
Maintenant, la question se complique : on trouve tout, et son contraire. Pour chaque théorie, point de vue ou fait, il est possible d’en trouver un autre qui le contredit. Il deviendra ridicule de dire que quelque chose existe ou que l’on appuie la validité de son point de vue sur la base de la «découverte d’une page web qui le confirme sur internet». Une fouille archéologique sur internet rapporte toujours ce que l’on souhaite confirmer. Et son contraire.
Trouver n’est plus prouver
Les outils de recherche ne font que propager une fausse perception de compétence.
Puisqu’internet conserve tout ce qui est écrit, aussi bien les fausses information que les valides, seuls les «riches» ont les moyens de vérifier, car l’étendu de leur sphère de connaissance induit une compétence. L’accès à l’information ne garantit plus rien. Dans mon cas et celui de mes lecteurs aussi, « nous savons que nous savons », mais le système de l’éducation est-il préparé à éduquer ces (nouveaux) «pauvres», ceux qui ne savent pas qu’ils ne savent pas?
Interrogé par Martin Scholz, l’écrivain italien Umberto Eco explique que bien qu’il critique Internet, il est un utilisateur enthousiaste des nouvelles technologies. « J’ai toujours bien accueilli les nouvelles technologies, mais, à chaque fois, il faut apprendre à les utiliser et s’équiper pour en profiter. Par exemple, j’ai toujours trouvé qu’opposer les livres aux ordinateurs était stupide. (…) J’aime les gadgets technologiques et j’aime acheter et essayer de nouveaux produits. Récemment, je me suis offert un disque dur externe d’une capacité de 250 gigaoctets. Incroyable. J’ai immédiatement enregistré le contenu de la bibliothèque nationale italienne et des chefs d’oeuvre de la littérature mondiale. Lorsque je pars en voyage, il me suffit de le mettre dans ma valise et de le ressortir une fois que je suis dans ma chambre d’hôtel à Hong-Kong. Ainsi, j’ai toujours avec moi la collection complète des oeuvres de Shakespeare, la Bible ou le Coran. »