Internet a, plus que toute autre technologie, rétrécit le monde à un petit village. La tribu humaine se voit forcé de façon digitale de réinventer un nouveau modus operandi pour amalgamer des communautés et des pratiques incompatibles. Des rapports de forces s’installent pour soit garder les privilèges d’antan, soit établir de nouvelles règles. Wikileaks, le site qui coulent les secrets plus vite que son ombre, risque de devenir le premier renégat du village global et fait face à un ban numérique tout à fait spectaculaire à l’âge du silicone.
Premièrement tout a commencé quand Wikileaks a brisé le pacte du secret en livrant des documents extirpés des réseaux diplomatiques américains aux journaux et au monde entier (source).
Lapidation numérique
La première réaction, comme dans les sociétés archaïques, a été la lapidation… numérique — le DDoS, le « déni de service » (distributed denial of service), attaque informatique en règle pour mettre un serveur à terre et y empêcher l’accès. Selon toute vraisemblance (source), l’attaque a été coordonné par un dévot au nom de la sanité du groupe (« pour avoir tenté de mettre en danger la vie de nos soldats, ‘d’autres ressources’ et les relations internationales » — l’usage du possessif « nos » ne laisse guère de place à l’interprétation: commandité ou non, il tient à l’ordre établie dans le village).
Le ban digital
Puis est venu l’expulsion du village. Réfugié chez Amazon, sous la protection du dieu des nuages (source), Wikileaks se voit lâché pour des raisons étonnantes: bris de contrat de service. Pourquoi? Amazon juge que wikileaks « ne possédaient pas ou ne contrôlait pas les droits du contenu qu’il diffusait » (source). Dit autrement, les ayant droit n’ont pas autorisé la diffusion du contenu. Ici on parle, je vous le rappelle, de communiqués diplomatiques. Pas de scénarios. Quoique, en lisant certains télégrammes, on nage en pleine fiction.
Leçon à retenir pour les services secrets: le droit d’auteur protège aussi les espions. J’aurais préféré qu’Amazon dise que le gouvernement américain a fait pression sur eux. On serait dans une histoire connue.
Depuis, Wikileaks s’est réfugié en Suède (source). On verra plus loin que ce n’était pas le meilleur protecteur.
La paix numérique
Puis, coup de théâtre cette nuit, le fournisseur DNS, le gestionnaire des adresses internet, ou le « bottin téléphonique » internet sans lequel impossible de contacter un site, lâche à son tour le mouton noir (source). Pour bris des conditions d’utilisation. « Member shall not interfere with another Member’s use and enjoyment of the Service or another entity’s use and enjoyment of similar services. » (Les membres ne peuvent empêcher l’usage du service aux autres membres). Dans ce village, il ne faut pas troubler la quiétude des villageois. Wikileaks se faisant lapider trop fort, ça dérangeait les autres (le DDoS intense est la raison invoquée).
Bani pour avoir être avoir été la cible d’un ban. Tautologique, mon cher Watson. Il y a une heure, Wikileaks s’est réfugié chez les neutres. La Suisse: http://wikileaks.ch
Inquisition internationale
Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage. Voilà que, à peine excommunié et exilé du village, sa tête est mise à prix. Par l’Interpol, à Stockholm, en Suède.
Le dirigeant de wikileaks a contre lui un «mandat d’arrêt d’Interpol dans le cadre d’une enquête pour « viol et agression sexuelle » en 2008 en Suède» (source). La justice suit son court. L’inquisition aussi. Si ça ne marche pas, il reste l’accusation de terrorisme (source). Mais on se demande qui le site terrorise-t-il vraiment. Le peuple par des révélations sur leurs dirigeants? ou les dirigeants par le fait qu’ils doivent maintenant faire comme le peuple et surveiller leurs communications (Echelon n’est pas mort, n’oubliez pas)?
Règles pour la tribu numérique
Les règles du village sont claires: on ne change pas les règles. Quand on met à nu les grands maîtres derrière le rideau, il ne faut pas s’attendre à un accolade. D’une certaine manière ils savent maintenant ce que l’on ressent quand on passe dans le scanneur intégrale des douaniers américains. Mais la punition ultime, comme dans les tribus archaïques, reste le ban.
Dernier point. Je ne sais pas si vous voyez tout le drame qui se joue. Les USA cherche à retirer l’accès à Wikileaks à ces citoyens. Si c’est pour finir comme la Chine, pourquoi tout ce chichi et ne pas faire comme eux. Censurer Internet [Source]. C’est plus rapide. Et plus clair.
(image Banksy: Whitewashing Lascaux)
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Il semble que l’accusation de « viol et agression sexuelle » ne tienne pas la route. Les faits sont troublants : deux femmes (qui se sont officiellement concertées) accusent Julian Dessange d’avoir eu avec elles des relations sexuelles consentantes au cours desquelles les préservatifs ont brisé et, à chaque fois, Dessange aurait refusé de mettre fin à la séance. ( Wow ! il a des particularités morphologiques non répertoriées par les fabricants de condoms ?). Primo, sur le plan juridique, l’accusation sera très difficile à prouver et Secundo, l’accusation ne valait pas la « notice rouge » d’Interpol ! aux termes de l’accusation de viol.
Merci infiniment Martin de cette « traduction » immédiatement compréhensible par « l’auditeur » ou le « lecteur » moyen. Mieux vaut tomber debout que de se répandre à genoux, et il est souvent utile de rappeler aux esprits confus combien les règles du jeu ne sont pas nées ce matin.
Mais « tuer » wikileaks empêchera t-il la dynamique sous-jacente de se déployer ? Peut-être. Peut-être pas.
Nous vivons une époque formidable !
Dominique, le jupon dépasse. C’est le cas de le dire. Si on voulait faire du tort à l’impartialité de la Justice (avec un grand J) on aurait pas fait mieux.
Michel, « tuer » wikileaks ne sera pas une mince tâche. Ça fera assurément des « métastases ». La réponse ne sera probablement pas technologique (on le voit) mais probablement culturelle, éthique ou morale. Mais pour ça, on a encore du chemin…