Une pleine page. Voilà ce que la Fédération des Médecins Omnipraticiens du Québec (FMOQ) se sont payé. Une pleine page dans le journal aujourd’hui. Pour annoncer quoi? La diffusion d’un «documentaire-choc» sur YouTube! Quand la santé embarque dans les réseaux sociaux.
Un exemple de la mutation du paysage audiovisuel, c’est ce «documentaire» de la FMOQ sur le manque de médecins de famille au Québec (1102 exactement — précision chirurgicale si vous me permettez le jeu de mots).
La mise en page de la pub rappelle celle que Radio-Canada propose parfois pour des grandes émissions ponctuelles. Ton dramatique dans l’image et le texte («la pénurie de médecins de famille s’est aggravée de 45%») et un titre frappant «Diagnostic: un documentaire-choc à visionner sur youtube.com/medecindefamille».
Diagnostiquons «Diagnostic»!
Bon, mettons au clair, avant toute chose: ce n’est pas un documentaire, mais bien une publicité. Un documentaire doit être signé par un cinéaste et ici, ça sent la commande. Il manque totalement le traitement «journalistique» habituel (il n’y a pas de point de vue de politiciens ou d’experts) et le message est clair: c’est un moyen de pression de la fédération pour former davantage d’omnipraticiens.
Côté Youtube
Page dédiée et URL unique, la FMOQ joue toute de suite la carte de crédibilité. Leur canal YouTube est sans pub, avec une image de fond corporative. La vidéo principale reste tout juste en dessous du 10 minutes maximum et une série de 7 vidéos supplémentaires (de 2 à 3 minutes) sont disponibles (principalement des interviews/témoignages).
Les signes d’autorités sont partout (le stéthoscope est dans le design de la page et il n’y a pas un docteur qui ne la porte pas autour du cou). Les témoignages des médecins permettent de montrer leur quotidien, d’une façon peut-être moins stéréotypée que dans une pub ou à travers un reportage télé. En ayant plus de temps pour passer leur message, ils peuvent espérer toucher le coeur des gens (le côté rationnel, lui, est touché par les statistiques qui sont en surimpression par moment sur les vidéos — «2M de Québécois n’ont pas accès à un médecin de famille»).
Mais je ne crois pas que ce pseudo «documentaire-choc» soit l’objet de la pub pleine page. La pub papier est l’amorce, et YouTube est la page d’atterrissage (landing page). Le véritable appel à l’action (call-to-action) est le groupe Facebook
Côté Facebook
Page Facebook traditionnelle. Environ 1590 personnes ont «aimé la page» (Facebook Like) quand je suis passé ce midi. C’est là que ça devient intéressant. Les gens peuvent aussi donner leur témoignage: « nous sommes 6 dans notre famille des enfants de 13 ans jusqu’a 2 ans et pas de médecin de famille… faut vraiment pas être malade».
Alors que YouTube pouvait faire «arrangé», sur YouTube, les commentaires sont réputés authentiques. Pcq ceux qui postent leurs commentaires le font aussi dans leurs réseaux personnels. Même si cela ne garantit pas de «faux témoignages», la différence ici est que ceux-là le feraient devant leur propre communauté. Les réseaux sociaux induisent une imputabilité de l’émetteur. Il est plutôt difficile de créer une désinformation de masse.
Dans l’ensemble ces témoignages montrent leur perception qu’ils ont d’avoir (ou plutôt de ne pas avoir) un médecin de famille. Et c’est bigrement plus efficace qu’un vidéo de commande. La santé est un thème très porteur, donc il n’est pas difficile de toucher le monde. Les réseaux sociaux peuvent alors permettre de capturer le pouls de la population.
Côté campagne
Le pari de lier une publicité traditionnelle pour démarrer un viral numérique est toujours risqué. La vidéo principale sur YouTube a été visionnée 1500 fois (chiffre de ce midi)[MàJ2 27000 deux jours plus tard et 51000 neuf jours plus tard] }MàJ3: 111 000 2 mois plus tard]. Quand on sait que la rétention est très courte dans les médias traditionnels et que le drive-to-web n’est pas très élevé. Ça ne s’annonce pas bien? Il est encore trop tôt pour conclure, car il existe peut-être d’autres tactiques médias, mais si la pleine page n’a pas joué un rôle de «drive-to-Youtube», elle a bien joué son rôle de marque.
Si la pleine page fait un effet de marque, alors c’est le groupe Facebook qui créera le viral. Leur compte Twitter annonçait que «la FMOQ lance une conversation dans les médias sociaux qui donne la parole aux médecins de famille». Cette conversation se tiendra très probablement que sur Facebook, Twitter n’ayant que peu relayé l’information actuellement (et la limitation de 140 joue pour beaucoup). Comme Facebook est une énorme caisse de résonance, dès qu’elle se met à vibrer, elle attire rapidement l’attention.
Côté apprentissage
La campagne média a été probablement l’initiateur du mouvement du partage de témoignages sur Facebook. Mais elle servira probablement plus à des cibles traditionnelles: les journalistes et les politiciens. «Hey regardez ce que l’on montre aux citoyens» et force est de constater que cette cible ira probablement voir les témoignages sur Facebook.
Mais ce que je vois d’intéressant aussi, c’est l’effet secondaire que ça a engendré. On lance un «document» audiovisuel sans passer par les grandes chaînes de télé, et directement du YouTube, qui se trouve être un canal qui «légitime» la diffusion (et paye la bande passante). Techniquement, un site web aurait pu faire la même chose. Mais la simplicité de laisser Youtube gérer la diffusion l’a emporté.
Le «diffuseur» ne fait plus office d’intermédiaire-filtreur, mais de simple relais. Les politiciens Obama et Harper l’on compris et court-circuitent les «gate-keeper» de la «parole télévisuelle», qu’ils soient journalistes ou chaînes de télé. Ils accèdent ainsi directement à la population sans filtre.
Faire ainsi permet non pas manipuler l’opinion publique, mais de provoquer des réactions qui peuvent être bénéfiques à une cause, sans devoir passer par l’aval d’un gate-keeper.
En engendrant un mouvement de foule médiatiquement orchestré, dont l’apothéose est cette «pétition des témoignages FaceBook», quelqu’un peut réussir à créer un rapport de force contre un acteur social.
Dans le cas présent, pour la FMOQ, ils tentent de mettre leur problématique à l’ordre du jour du gouvernement, un acteur social très sensible aux pouls de la population… À suivre.
J’aimerais bien savoir qui a conseillé la Fédération des Médecins Omnipraticiens du Québec.
Une fédération très 21e siècle ! Bravo !