En observant 75 blogueurs (anglophones) sur livejournal.com, elle a trouvé que plus on écrit, plus on a de lecteurs (étude en résumé, anglais, PDF).
La quantité et la régularité sont deux facteurs importants pour s’attirer une «popularité» (La Tribune de Genève avance même que la régularité compte moins que la longueur).
Clay Shirky dans «Les Lois du pouvoir, les Blogues et l’Inégalité» («Power Laws, Weblogs, and Inequality») avait déjà constaté en 2003 que «les blogues les plus populaires sont ceux mis à jour quotidiennement et surtout que la popularité d’un blogue ne se décide pas, mais résulte « d’une sorte d’approbation distribuée émanant des autres blogues.» (lien via Emily Turrettin, Les Quotidiennes).
L’étude n’est peut-être pas si surprenant en fin de compte: écrire est le seul vecteur d’influence (le non-verbal est absent), il y a donc une surpondération pour un usage accru de l’écrit.
Ce qu’il y a de nouveau, c’est le développement de tout cet écosystème autour de la surabondance de l’écrit.
Nous entrons dans un monde de flux
On assiste à la fois à une comptabilisation de la «popularité» (on mesure de l’audience et non la notoriété de l’émetteur) et à une redéfinition du contenu de qualité sous une forme de «flux quantitatif»
«Les flux font se succéder rapidement des séquences d’informations sur un thème. Il peut s’agir de microblogs, de hashtags, de flux d’alimentation RSS, de services multimédias ou de flux de données gérées via des APIs.» disait Nova Spivack (source Archicampus.net
“Cette métaphore est puissante. L’idée suggère que vous viviez dans le courant : y ajoutant des choses, les consommant, les réorientant.” disait Danah Boyd (source « Streams of Content, Limited Attention: The Flow of Information through Social Media« .) (cité et traduit par Hubert Guillaud, InternetActu).
On a maintenant la possibilité de créer, mixer, remixer, relier, hyperlié et diffuser tous les contenus y compris les siens, mélangeant autorités et autoproduction. La chaîne de distribution de l’information traditionnelle déraille et de nouveaux acteurs émergent grâce à de nouvelles règles.
Dans ce contexte, les plus gros «arroseurs» reçoivent une plus grande attention. C’est un jeu de visibilité qui ressemble à un jeu à somme nul. Si je suis plus vu, tu l’es moins. L’attention se dirige vers ceux qui ont le clavier agile et prolifique.
«En offrant la même audience à chacun, on distribue le pouvoir d’attention à tous» écrivait Hubert Guillaud. Mais la redistribution de l’attention vers les «plus populaires» devient une pression quotidienne qui est un véritable ticket modérateur pour les blogueurs. Entre qui veut, mais reste qui peut.
Ratio «placoteux» / «élite»
«Il ne faut pas non plus noyer les lecteurs», ajoute Christophe Thil, interviewé dans l’article de L’Atelier,« il est essentiel de veiller à la pertinence des articles que l’on publie. […] on évite le bruit […] un blogueur qui vous submerge d’informations risque fort de perdre en audience».
Vrai. Mais je crois que l’on fait fausse route en conservant une pensée de «destination» et non de flux. Les journaux et les émissions de télévision se pensent encore comme des destinations. Or, dans une économie de flux, il n’y a pas de «destination». Ou plutôt c’est un concept fluctuant. Les liens renvoient toujours ailleurs.
Nous assistons à une «décentralisation tous azimuts» où le pouvoir est transféré en «périphérie» — où on assiste à la montée en puissance des noeuds d’un réseau condamné à «écrire» pour exister. On pourrait aussi dire: c’est plutôt un rééquilibrage des ex-sans-voix.
L’élite d’ailleurs ne s’y trompe pas et traite de «communauté de placoteux»* ces hordes de sans-culottes qui dévaluent la parole en inondant le marché de mots au rabais. C’est une des conséquences navrantes de l’alphabétisation des masses: l’écrit s’est démocratisé pourrait-on les entendre dire.
Savoir profane
La recherche, l’acquisition, la transformation et la diffusion du savoir passaient autrefois par le transport et hier les médias de masse. Le flux est aujourd’hui en mesure de modifier la nature même du savoir, sa consommation et sa production.
Oui, on suit ceux qui écrivent beaucoup, car leurs flux de billets créent un continuum qui ressemble le plus au flux de la vie, où les récits gagnent en instantanéité tout en évitant cette élite qui s’interposait jadis entre nous et ce qu’elle décrivait.
Oui, on écrit beaucoup, mais on peut s’inscrire dans les flux, converser et réalimenter à notre tour ce flux pour d’autres.
Consommer pour comprendre, produire pour être pertinent comme le disait si brillamment Danah Boyd.
(929 mots –ça me classe où cette semaine? 😉
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*Pour les Nathalie Petrowsky qui pensent que les blogueurs dorment au gaz (pcq ils n’ont pas fait des «ripostes cinglantes» à Madame Bissonnette) j’ai beaucoup écrit sur le sujet en 2005 et 2006. Rien de cinglant. Juste du sensé. Mais c’est derrière nous, maintenant.
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Image: Moebius
Par contre un blogueur prolifique est noyé sous les devis/appel d’offres/sollicitations et un blogueur moins prolifique a moins de tout ça mais généralement plus de contrats.
Éric, bon point. Popularité n’égale pas contrats nécessairement. On ne peut pas à la fois parler de que l’on aime et faire ce que l’aime. Sauf à être un blogueur payé à l’être…
Pour ceux qui arrivent sur ce billet via le message twitter «La « popularité » d’un blog est liée à la quantité et non la qualité» (notez les guillemets sur popularité), notez que je n’ai pas accès à l’étude complète, donc je ne peux valider ses conclusions.
Même si elle n’a peut-être pas tort dans le cas de son échantillon, l’extrapolation à toute la blogosphère me semble un peu douteux. Je ne sais pas si la popularité est un conséquence de la quantité (ce qu’elle affirme) ou l’inverse, que la popularité crée la quantitié (pression, attente sociale)
De plus elle ne prend pas en compte d’autres facteurs (comme la notoriété) qui pourrait peut-être jouer.
Par exemple, si je construis un robot et qu’il blogue fréquemment et abondamment, sera-t-il «populaire»? Poussé à l’extrême (et dans l’ordre de magnitude d’internet, on est dans les extrêmes), je ne me demande si ses conclusions n’ont pas oublié certains détails qui peuvent prendre de l’importance à grande échelle.
Ceci dit, ça rejoint tout de même notre intuition. Mais il me semble que la définition de «popularité» demanderait plus de définition…
Ouais, il faudrait vraiment mettre la main sur la méthodologie… Comment mesure-t-elle la popularité d’un blogue? Par son trafic?
Et si je dis que « La quantité et la régularité » sont deux facteurs importants pour obtenir un bon rayonnement dans les moteurs de recherche et donc d’avoir plus de trafic sur son site… la notion de popularité perd un peu de son sens.
Pour revenir au Robot, j’en ai fait l’expérience de façon modéré sur Twitter et il s’avère que j’ai beaucoup plus de followers depuis que j’ai mis se robot à « OFF » et que je n’écris presque plus rien…. comme quoi le silence est parfois aussi d’or sur Internet 🙂
Bonjour Martin,
Je reste plutôt sceptique sur l’emploi de la notion de «flux», plutôt «floue», pour différencier ce qui se passe sur le Web des autres médias.
L’explication de ces logiques me parait ailleurs et plus simple. Les programmateurs de TV et de radio savent depuis longtemps que, prise globalement, l’écoute de leur média est soumise à une variable et une seule, indépendamment de la qualité des programmes : la disponibilité des téléspectateurs et des auditeurs.
C’est la même chose sur le Web, les blogues qui marchent le mieux en terme d’audience sont ceux qui collent au rythme personnel des internautes. Il n’est pas besoin d’aller chercher le «flux» pour cela, il s’agit d’une gestion du temps des médias. Chaque média gère le temps à sa manière et construit un business model correspondant à cette gestion.
J’ai essayé de l’expliquer ici :
http://cours.ebsi.umontreal.ca/sci6355/cours/05/index.html
Alain, plus je reviens sur son étude, plus je me dis qu’il manque des variables pour accepter sa conclusion. Je pense à Mario Asselin et Dave Pollard, blogueurs prolifiques et réguliers devant l’éternel, et je ne vois pas leur «popularité» correspondre à leur «quantité».
Il y a peut-être à chercher du côté de Jean-Michel et la «gestion du temps des médias»
Cette étude, à mon avis, doit être relativisée. L’audience est un critère, pas le seul; L’attention, le temps passé, c’est plus important que l’audience brute, enfin pour un blogueur (mais aussi pour un média).
La quantité conditionne la qualité. Seth Godin peut publier plusieurs billets de bonne qualité par jour. Tel autre blogueur peut publier un bon billet par semaine: qu’il en publie trois par jour et certes son audience augmentera mécaniquement, mais l’attention chutera.
Jean-Michel, merci de me remémorer votre pentagone des industries de la mémoire.
Bien sûr, parler de «flux» dans un tel contexte revient à dire que nous «sommes dans la matrice» (rf The Matrix) en tentant d’expliquer le réel –c’est-à-dire que ça ne nous avance à rien sinon qu’à évoquer une belle métaphore.
Donc «flux», oui évocateur, mais floue. Précisons un peu plus.
En réintroduisant le temps (ce que le «flux» semble évacuer — comme la «matrice» repousse d’un niveau le problème (est-ce que la matrice n’est pas elle-même dans une matrice?)), le pentagone de l’industrie, tel que je le comprends, évoque une liaison similaire dans la façon de produire, d’emmagasiner et de consommer du contenu avec les autres industries.
Si j’extrapole: la «popularité» de Susan Jamison-Powell équivaut à la consommation du produit culturel (la mémoire emmagasinée) dans le pentagone des industries. Les plus populaires sont les plus consommés.
Chacun ayant son audience, tous sont alors des «médias» sur le web. Donc chacun gère le temps de son audience. En le gérant bien (ou en le conditionnant bien), on acquiert de la «popularité»
Bon. Je ne sais si j’ai bien interprété, mais ça me permet de tout de suite de donner une dimension supplémentaire aux résultats de la recherche: la production en quantité et en régularité génère la disponibilité de l’audience. Et c’est cette disponibilité (et non la génération de contenu en soi) qui crée la «popularité».
Par contre, ce que la métaphore du flux évoque, en étant moins structurant que le pentagone, et ce sens il permet de prendre des licences avec une pensée rationnelle, c’est cette impression d’une conversation avec l’audience où l’émetteur et le récepteur se fondent. Le pentagone implique une logique industrielle. Le flux une logique relationnelle et sociale.
Mais ici je crois que j’emploie le flux comme flot où des «sagesses collectives» passent à travers nous comme si on était un canal. Ça n’aide pas nécessairement une compréhension bibliothéconomique du contenu, mais peut-être un aspect psycho-sociologique des blogueurs.
Je devrai expliciter ce point de vue dans un futur billet.
Éric, c’est le cas je crois des blogueurs trop prolifiques: trop de bon contenu, incapable de soutenir l’attention..
Je pense qu’il n’y a pas que les lecteurs qui font le succès d’un blog, il y a aussi son niveau de réactivité vu depuis les robots des moteurs de recherche. Une mise à jour quotidienne est un indice important en SEO. Et la boucle est bouclée !
Simon, bien sûr, le SEO. Je suis d’accord. Mais est-ce que les visites équivaut à des abonnés? Pas nécessairement. Mais ça doit jouer sur le long terme.
Hier, Sébastien Paquet me faisait suivre un lien. Je crois que ça précise le sens du «flux comme flot où des «sagesses collectives» passent à travers nous comme si on était un canal» dont je parlais 4 commentaires plus haut.
Ça développe davantage ma notion (tout aussi floue) de « l’aspect psycho-sociologique des blogueurs », qui est plus une intuition qu’une théorie. Le billet a été écrit par Vanesses Miemis sur son blogue Emergent By Design (écrit le même jour que mon billet). Et elle parle d’une «nouvelle façon de penser» qui passe par «l’intelligence collective».
Ce qui ressemble à mon «flux», elle décrit par un «réseau de confiance» (« trust network ») et un «partage de soi» (les réseaux sociaux numérique) qui permettent de développer une nouvelle forme de solidarité humaine.
Une intuition que l’on partage tous quand on est un blogueur –dans le sens premier de celui qui cherchait à réellement partager, pas juste à diffuser.
Il faudrait définitivement creuser de ce côté pour clarifier le sens que je donne à «flux»…