L’attente messianique du livre électronique (comme, par exemple, la 3ième table biblique offerte par La Pomme cette semaine) suggère-t-il la fin de la «lecture». Je porte à votre attention un bon billet de Jean Larose qui semble le croire.
L’intellectuel québécois Jean Larose, dans l’Avent du livre électronique, publié dans le Devoir d’hier, est un autre cri du coeur* d’écrivain voyant la « montée » d’Internet et de sa « culture » comme barbare: «Une nouvelle humanité est en gestation dans la matrice, à qui l’étrange mot de «lecture» n’inspirera qu’un sourire de barbare supérieur. »
«Un spectre hante le monde du livre. […] Le livre électronique n’est pas encore réel, mais chacun sent que toute résistance est vaine». Il s’en prend aux évangélistes, pourrait-on dire, qui annoncent un monde meilleur (Pierre Assouline, Hubert Guillaud, Brad Stone).
En particulier parce qu’ils prêchent une pratique d’une nouvelle lecture qui n’est ni encore effective ni réelle selon lui («je ne connais personne qui ait lu un livre au complet sur un écran»)
Les révélations des «croyants» aux nouvelles pratiques hypertextuelles semblent braquer l’auteur. «L’Avent du livre électronique répond en réalité à une vaste intimidation exercée contre tout ce qui réfléchit seul, lit seul, écrit seul.»
Je ne sais d’où vient cette sensation de persécution.
J’aimerais bien la comprendre parce qu’elle revient souvent: ceci tuera cela? Je ne crois pas. Nostalgie? Incompréhension? Une erreur de diagnostic? Ou tout simplement des appels de phare pour annoncer un naufrage de la pensée?
Pourtant même à la lecture de Pierre Assouline, qui écrit si bien,( N’ayez pas peur, ceci ne tuera pas cela !) il ne semble pas convaincu.
Sommes nous dans un dialogue de sourds?
Mise à jour: voir la réponse d’Hubert Guillaud à ma question sur La feuille
À lire aussi sur Zéro Seconde sur le même sujet:
- Trois choses dont le livre n’a pas le monopole : Le livre papier n’a pas le monopole de la lecture. Dire que le livre se meurt ne veut pas dire que la lecture se meurt.
- Pour en finir avec les natifs versus les immigrants digitaux, il n’y a pas de distinction par essence.
- La pêche aux idées La nouvelle lecture est une forme de « connexion à travers le contenu » basé sur la confiance et la possibilité de transcender les spécialités…
* Autres cris du coeur dans Le Devoir dans la dernière année
- Christian Rioux : « la lecture de longs articles sur internet [étant] tellement fastidieuse qu’elle favorisait le zappage au lieu de la concentration [entraînant] une grave régression intellectuelle » ( Voir mon billet Épidemie blogueuse)
- Jean-François Nadeau : « Jusqu’à preuve du contraire, le Web ne permet guère une réflexion dans la durée.»(voir mon billet Trois choses dont le livre n’a pas le monopole)
- Louis Hamelin: «Dans ce merveilleux monde de la Gogosphère où la petite culotte d’une chanteuse et un coup d’État en Ouzbékistan avaient exactement le même poids.» Le devoir, samedi 3 janvier 2009, p. e7
- Gil Courtemanche: «Tout est permis. C’est le message du monde Web, d’un univers dépourvu dorénavant de références et de paramètres.» samedi 19 septembre 2009, p. c2
Mais au Devoir (heureusement) chacun est «libre de penser».
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J’ai eu la même réaction de stupéfaction que toi hier matin en lisant le texte de M. Larose. J’en ai même fait une mini montée de lait à laquelle seule ma petite chérie a assistée. Mini, la crise, car je considère que je n’ai pas beaucoup de temps à perdre avec ce type de discours nostalgique du bon vieux temps où ça prenait 3 jours se déplacer entre Rigaud et Montréal.
J’ai bien aimé aussi l’extrait du NY Times dans lequel un monsieur disait que sa fille de 2 ans ne connaîtra jamais le livre en papier… Misère. Et pourquoi donc? Bien, parce qu’en 2012, nous connaîtrons l’Apocalypse diantre! Plutôt simple mais fallait y penser. M’enfin.
Intellectuel ne veut pas idre expert, et souvent les intellectuels s’occupent des domaines qu’ils meconnaissent clairement. Je ne peux accorder aucun respect à un homme qui voit le problème de l’ebook de façobn aussi binaire (papier VS electronique) au lieu de saisir la complexité de la situation et la merveilleuse situation qui s’offre à nous.
Je pense que c’est une question de pratique et de milieux culturels, profondément. Beaucoup de milieux culturels – même dans le monde des élites intellectuelles – n’ont pas de pratiques internet. De très nombreux chercheurs et de très nombreux intello n’utilisent rien d’autre que le mail et quand ils cliquent sur un lien hypertexte c’est pour tomber sur quelques-uns des pires mêmes qui circulent sur le net. Il faut certainement bien avoir cela en tête pour comprendre ce rejet. Dans leur pratiques internet est absent. Ces gens lisent des livres papiers et des revues, exclusivement. Ils impriment les articles de 10 pages en pdf qu’ils échangent. Ils ouvrent encore des dictionnaires et se réfèrent aux livres quand ils ont une question à résoudre. Ce sont des prénumériques, et nous le sommes tous encore un peu.
C’est fascinant de voir Umberto Eco (qui a pourtant été un grand penseur de la transformation du livre) ou Alberto Manguel (quelqu’un qui a compris les pratiques de lecture), refuser d’un commun accord le monde venant d’internet et n’évoquer le numérique que sous la forme de CDrom d’oeuvres complètes.
La querelle des anciens et des modernes ne va pas s’éteindre demain, au contraire. Je crois bien que quoi qu’on dise, cela ne changera rien à leur posture. Définitivement, je ne pense pas qu’ils embrasseront ces pratiques. Ce ne sont pas celles de leurs générations (cf. tes articles sur la question, Martin). Nous sommes dans un dialogue de sourds. Je ne connais que des gens qui lisent sur leur écrans.