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Le crowdsourcing : dompter la folie des foules

«Le crowdsourcing qu’est-ce que c’est?» C’était la question que l’animateur Benoit Cantin, ce matin, me posait au téléphone, en direct de la radio de Radio-Canada à Toronto. Hésitation. Quand on cause « crowdsourcing » à une émission grand public, le matin, avant 09h00, on sent que l’on vient de traverser quelque chose.

Photo: lifeLe mot lui-même, rappelons-le, serait un terme inventé par Jeff Howe dans le Wired de juin 2006 . Il combine l’anglais Outsourcing (sous-traitance à l’externe) et Crowd (foule) pour donner Crowdsourcing, sous-traitance à “la foule”.

Autrement dit, c’est l’externalisation de ressources humaines (ou plutôt de l’acquisition de connaissance) qui permet de puiser hors de l’entreprise dans un ensemble des talents disséminés, dans cette longue traîne des talents (Pisani), une “sagesse des foules” ( Surowiecki ) qui saurait répondre à un besoin interne.

Bon, dit comme ça, peut-être que plusieurs auditeurs se sont étouffés avec leur gorgée de café. Il faut savoir ce que l’on veut. Il faut appeler un chat un chat, quoi. On me pose une question, je réponds.

Crowdsourcing goes public
Le crowdsourcing me semblait jusqu’à ce matin relever plutôt d’un concept pointu rattaché à la niche de la haute technologie et du multimédia web. Le mot, pas particulièrement beau, propose malgré tout une vision alternative de ce qu’est la « foule ».

Tout démarre d’un constat : dans certaines circonstances le choix de groupe, en général, se révélerait meilleur, en moyenne, que celui d’un seul individu en tout temps, même spécialiste. Clay Shirky, dans Here comes everybody, raconte avec moults exemples dans quel type de secteur le choix de groupe est plus prolifique. Il n’est nullement question ici de laisser la foule bâtir à coup de vote et de SMS une fusée interplanétaire.

L’antinuit de crystal
On associe souvent la foule à des excès. On ne connaît souvent de la foule que par son côté instrumentalisé: que ce soit des gouvernements autoritaires (pensons aux atrocités qui précédaient la seconde guerre mondiale) ou les médias avides de cotes d’écoute (où elle instrumentalise la foule pour faire émerger la futilité lors de spectacles de télé-réalités.

Dans ces conditions, il est normal alors de ressentir une peur viscérale à toute prétention de faire appel à une quelconque intelligence de la foule.

Le futur pluriel
Ce que j’ai ressenti ce matin, c’est ce passage du négatif au positif. Le crowdsourcing deviendrait un « lieu commun » dans la moulinette des médias. La foule ne possède plus seulement l’aura de folie collective (n’a-t-on pas dit que le quotient intellectuel de la foule est inférieur à la somme de ses composantes?), mais offre dans certaines conditions des fruits autrefois inaccessibles, et ce, grâce à la mise en réseau massive de la population.

Face au défi qui attend l’humanité confrontée aux limites de la biosphère, pouvoir avoir avoir un accès potentiel à chaque ‘bit’ de savoir dans la tête des humains pour trouver une solution ne relève plus nécessairement de la science-fiction.

Le magazine Seed cette année avait mis sur sa couverture le titre « la dernière grande expérimentation » (En): les mathématiques sociales, les réseaux sociaux et les sagesses des foules peuvent-ils être mis à contribution pour trouver la bonne idée qui nous évitera le mur qui se dresse devant nous. Quelque part, quelqu’un a la réponse. Le crowdsourcing peut lui donner une chance d’être entendu.

Autre lien sur Zéro Seconde
Crowdsourcing, mettre la foule à profit (présentation et powerpoint et vidéo)

Image Life

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

3 thoughts on “Le crowdsourcing : dompter la folie des foules

  1. Il ne faudrait pas se laisser aveugler par la sémantique. On parle bien de foule, mais cette foule sur Internet est un regroupement d’individus isolés. Rien à voir avec le phénomène abrutissant des groupes lors d’un concert ou d’une victoire des Canadiens. (Vous en souvenez-vous?) La dynamique est différente. Ses participants aussi. Elle est propice à l’éclosion de phénomènes comme le logiciel libre et des contenus collaboratifs à la mode wikipédia. Leurs créateurs sont une minorité. On dit qu’ils viennent de la foule, mais il serait certainement plus juste de parler d’une autre sorte d’élite.

    On pourra toujours pointer du doigt le manque de rigueur généralisé, les vidéos de chats stupides et l’affreuse orthographe des illettrés, mais ce serait de se méprendre sur les classes sociales. Le mépris des masses est surtout une affaire du 20e siècle. En ce moment, au 21e siècle, je me demande surtout si l’esprit des initiatives collectivistes réussira à conquérir nos espaces traditionnels ou s’il sera écrasé par ceux qui voient dans le crowdsourcing un moyen de bénéficier à bas prix du travail d’autrui.

  2. Anonyme, votre précision sémantique tombe juste: une foule d’individus isolés relève d’une classe à part. J’imagine qu’il existe par contre une frontière poreuse entre les deux…

    Je pense au « flash crowd » d’un côté: des individus quittant leur solitude pour venir faire un « happening ». La « foule » se matérialise.

    Et à l’inverse, la foule se dématérialise lorsqu’elle entre dans les urnes. Façon de parler.

    De qualifier d’élite (ou de créatif) cette « foule » semble plus juste. Mais c’est parce que l’offre présente de participation emprunte des outils qui permettent de canaliser une plus grande créativité: la foule devant le discours n’a que sa voix pour réagir ou son SMS (et 1$ pour voter pour son chanteur favori).

    Je précise qu’accéder au « crowdsourcing » n’est que la première étape et tout dépend de la façon d’harnacher et de canaliser l’énergie ensuite. On en distille la bêtise (voter pour éliminer le candidat) ou en percole le meilleur (comme permettre de trouver une idée de compagnie qui restaurera une balance entre l’économie et l’environnement)

  3. J’aime bien votre remarque: «l’offre présente de participation emprunte des outils qui permettent de canaliser une plus grande créativité». Elle nous permet d’imaginer pire.

    Il y a en effet un vaste spectre d’individus qui s’approprient des technologies, des plus ingénieux aux plus rébarbatifs. Et ceux qui la produisent et en font la promotion ont chacun leur agenda. À côté des efforts conjoints du libre, il y a certainement de la place pour un retour au modèle de masse. Le monde du cellulaire, plus fermé que celui du web, m’apparait assez caractéristique de ce modèle avec ses applications « autorisées » qu’on paie à l’usage.

    C’est une tactique vieille comme le monde de contrôler les ressources pour mieux les rentabiliser. Il suffit alors de façonner un environnement qui limite les contributions à celles qu’on attend chez les foules: consommation, sondage, promotion, etc. En ce sens, le crowdsourcing n’est peut-être pas un si neuf concept que ça…

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