On se préoccupe beaucoup, avec raison, de cette métamorphose qui atteint le monde des médias, entre autres parce que ce que l’on appelait avant un « consommateur d’information » est devenu aujourd’hui un « acteur ». Et lui aussi cherche de nouvelles stratégies pour survivre dans la surabondance de l’information.
Je poursuis ici une série de 5 3 billets exploratoires (lire Écosysteme de l’information (1/3): Twitter Surge et Écosysteme de l’information (2/3): P2P news) en me consacrant aujourd’hui à ce qui a modifié le comportement des usagers dans ce nouvel écosystème de l’information.
La mutation qui s’empare du lecteur qui, tout en étant un consommateur pour les info-brokers, participe en même temps à le nourrir, rendant encore plus floue les frontières dans cette chaîne, puisqu’il est à la fois en amont et en aval de l’information.
Changements majeurs pour l’usager
Je me limiterai à citer que quelques points concernant cette évolution de la place du grand public face à l’information dans les deux dernières décennies (Alexandre Serres en dénombrait jusqu’à 7) et dont, il y a déjà un petit bout de temps, je vous avais entretenu.
Dans un monde (hyper)riche en information, où les outils nous noient davantage qu’ils nous aident, l’hominidé post-turingien (mmm intéressant comme expression que je viens de créer), que nous sommes en train de devenir, voit dans un néo-tribalisme un chemin de traverse…
Filtre humain
Puisque les filtres ont été court-circuités et que la validation d’un document repose sur l’usager, il lui incombe d’identifier ce qui est digne d’être lu/vu/entendu. Mais comme 99% de nos informations sont de « seconde main » (la plupart des informations sur le monde nous sont relayées et non acquises de « première main ») cette tâche s’accomplit en se fiant à des « autorités cognitives ou informationnelles« .
Nous choisissons nos sources, ces info-brokers, qui nous alimenteront, filtreront, agrégerons en contenu, pour nous tenir au courant…
Et pour les choisir, rien de tel que de se fier à sa tribu: son ami, sa copine, son père, sa cousine, le collègue, l’instituteur, la directrice, son équipe…
L’outil web Praized ne fait rien de moins que de faire vibrer cette corde et Yahoo Mail s’oriente dans cette même direction.
Disponible chez un info-broker près de chez vous
La qualité n’est évidemment pas assurée, mais dans le lot, on l’a vue, avec la sérendipité, on finit par trouver du contenu potable quand même, un peu comme on trouve toujours un arbre dans sa ligne de vision dans une forêt.
La mobilité et l’interchangeabilité des info-brokers sont telles qu’il donne l’illusion –mais ce n’est plus techniquement vraiment faux– que l’information se rend à nous et non l’inverse. Qu’elle nous trouve. Ou du moins qu’elle est là où on l’attend.
Reléguant ainsi le (bon) journaliste au « faiseur de bruit » –bruit dans le sens d’information non demandée — et donc, essentiellement appelé à nous instruire sur ce que l’on ne s’attend pas –et je crois qu’une partie de la crise du journalisme provient du fait que certains ne disent que ce que l’on veut entendre. Mais on déborde du sujet.
Who’s the king?
Avec un tel scénario, que reste-t-il à faire? Qu’en est-il du « Content is King » dans un tsunami d’information?
Ce qui émerge depuis quelque temps et qui prend lentement sa place dans la chaîne, c’est « The Context is King ». Mais gardons-en nous un peu pour une autre série.
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Lecture en attendant une prochaine série de billets
10 considérations sur les blogueurs, de François Guillot, qui constitue une des réflexions les plus pertinentes cette année sur la blogosphère dans la chaîne informationnelle.
Le journalisme est malade, interview vidéo de Jean-Claude Guillebault, où il affirme que le journalisme disparaît petit à petit au profit du médiatique. Trahison de la vocation journalistique?
Pourquoi la crise du journalisme? interview vidéo de Jean-Claude Guillebault, parce qu’ils disent tous la même chose.
Martin, j’ai plusieurs réserves à ton texte. Ca reste un très bon résumé mais il peut induire de mauvaises interprétations avec son extreme concision. En vrac, qq idées:
Et si l’abondance de l’information ne cachait en réalité une concentration, un appauvrissement de la variété d’information à l’image de ce qui se passe avec la variété de pommes de terre ou de pommes offertes au consommateur. Cette variété baisse que ce soit avec le génie biologique et les contraintes d’apparences voulues par le consommateur.
L’abondance si elle rime avec répétition, duplication n’est pas une abondance de diversité.
Peu m’importe l’avis de milliers de gens sur le même blockbuster quand il y a un vide pour le reste.
> l’accès à l’information n’est plus un problème, la capacité de traitement de cette information est devenue la nouvelle barrière.
Avec l’abondance on est obligé de passer par un moteur de recherche qui ne garantit pas dans la pratique de pouvoir accéder a ce qu’on cherche.
Est ce qu’un savoir, une connaissance est aussi une information dans ton vocabulaire ? Si c’est le cas, la compréhension du contenu de cette information demeure une barrière potentielle suivant le lecteur depuis que les textes écrits existent. L’abondance d’information ajoute une autre barrière de tri qui est souvent moindre dans le domaine scientifique que le traitement cognitif pour critiquer et comprendre un texte digne d’intérêt.
Le spécialiste en comédie italienne trouve qu’il ne trouve pas toute l’information sur le net. C’est comme en TV, l’abondance ne signifie pas l’exhaustivité mais souvent la répétition, la duplication d’une même information reprise en anglais, français, et par tel ou tel site.
…
Paul
Tu soulèves des questions extrêmement pertinentes.
1-« L’abondance de l’information cache une concentration »:
Dur de ne pas l’admettre. Dans certains domaines, il est clair que c’est le cas. Juste la blogosphère, c’est un parasite de la sphère journalistique –et ne parlons même pas de Twitter–
J’avais écrit qqpart que nous avons besoin des journalistes pour justement faire des enquêtes, pour débusquer la bête qui se cache, qu’aucun blogueur n’a le goût de traquer.
Pour cet aspect, il y a un risque de concentration.
Par contre, l’abondance offre aussi la possibilité d’éviter les « gatekeepers » médiatiques –ce qui est plus le sens de mon billet.
2-« L’abondance force l’usage du moteur de recherche »:
Ce n’est pas pour rien que Google encourage à outrance la prolifération de tout type de contenu –et sa duplication ;-).
Je suis loin de penser que les moteurs sont neutres. J’avais écrit en 2004 sur ce mythe: C’est l’algorithme qui décide!.
En fait, il faut une multitude d’outils et de stratégies pour trouver. Et c’est loin d’être facile encore…
3. « savoir, une connaissance n’est PAS une information ».
Je considère le data (les données) comme des informations « sans contexte ». L’information, pour être tautologique, c’est des « données en contexte ». Mais ce N’est PAS de la connaissance.
La connaissance, c’est de l’information mis en contexte avec d’autres informations « dans » le cerveau –en fonction de notre culture et de nos expériences passées. C’est de l’information qui permet de passer à l’action.
On pourrait dire que le « savoir », c’est de la connaissance en action.
Ça peut avoir l’air tiré par les cheveux, mais ça me semble possible de travailler avec ces termes.
En science, le problème de l’abondance ne se vit pas de la même manière, à mon avis: on se base sur une élite, pas sur la masse pour trouver les autorités.
Il y a un problème sur de surabondance qui génère une sur-spécialisation mais il crée pas le problème de trier le bon grain de l’ivraie