Où Twitter est comparé à une possible application grandeur nature d’un concept militaire proposé au département de la défense américain il y a plusieurs années.
Dans une ère où les nouvelles technologies bousculent la logique traditionnelle de publication, l’offre et la demande ne participent plus à la traditionnelle définition de la communication (qui? communique quoi? à qui?).
« Post before processing »
On voit partout dans la blogosphère et la twittosphère des « émetteurs » qui publient (post) une information sans se soucier d’un « public-cible » (à qui écrit-on?, comment adapter son niveau de langage?, qu’est-ce qui les intéresse?).
C’est au « destinataire » que revient le problème de discerner (to process) parmi les divers « chunk » d’information possibles ce qui répond à ses besoins.
On publie en premier, on voit ensuite comment traiter l’information: « post before processing ».
C’est d’autant plus vrai avec Twitter. Il m’y arrive de (re)publier une information sans nécessairement la valider (j’inscris normalement « non validé »). Et généralement, mon réseau me revient avec la confirmation (ou l’infirmation).
Pour les tenants de la communication traditionnelle –les journalistes en particulier, mais aussi tous ceux soucieux d’une communication de qualité– ce processus a de quoi surprendre.
« Power to the edge »
J’avais écrit à ce propos il y a trois ans quand je suis tombé sur un document de Departement of Defense américain: Power to the edge de Alberts et Hayes
Ce document explorait la capacité militaire de synchroniser dynamiquement ses actions de façon à augmenter la vitesse de commandement via un réseau robuste décentralisé. Plus précisément en disséminant l’information le plus rapidement possible en laissant le soin à la périphérie de juger de sa pertinence.
Un (très bref) résumé se retrouve ici, mais je ne garantis pas son exactitude.
J’avais écrit à ce moment-là : « si cette application peut fonctionner pour les militaires, on peut s’attendre à voir des développements majeurs dans ce domaine pour le secteur civil dans quelques années« .
Or il m’apparaît clair aujourd’hui que Twitter joue précisément ce rôle: power to the edge: post than process.
Je doute que ce soit un dérivé militaire, mais la philosophie du document de la défense américaine semble s’appliquer à Twitter.
Par exemple, le système devait procurer ces avantages:
- Self-synchronizing operations instead of autonomous operations
- Collaborative efforts rather than individual efforts
- Communities of Interest (COIs) rather than stovepipes
- Sharing data rather than maintaining private data
Il me semble que Twitter réussi à renforcer un réseau quand il fonctionne ainsi: on échange des url dont on ne sait quoi, faire, on y retransmet des nouvelles que l’on a glanées, tout ça en se disant que peut-être ça servira à quelqu’un d’autre…
On donne un pouvoir à ceux qui nous suivent.
« Command . . . Control . . . in the Information Age«
On pourrait rester critique face à « une décentralisation tous azimuts » comme tactique militaire — à quoi servirait un « centre », un général par exemple, si le pouvoir est transféré en « périphérie »– mais sur un mode civil, sans enjeu stratégique, on assiste à une réelle montée en puissance des noeuds d’un réseau ad hoc.
S’il est vrai que plusieurs informations cruciales dans une entreprise sont échangées par des communications banales autour de la machine à café, Twitter est l’espace de la pause-café permanente la plus productive.
Belle façon d’entrevoir la «confiance distribuée». En pratique, le partage de ce style (sur Twitter, sur un blogue ou sur Facebook; j’ai souvent plus de succès avec Facebook) permet en effet de valider ou d’invalider en fonction d’intérêts spécifiques. Un des «secrets» de la validité d’information, sur le ‘Net en général, c’est que l’information considérée comme importante pour un groupe particulier de personnes a de fortes chances d’être vérifiée. Lorsque cette information demeure ambiguë, c’est qu’un consensus n’a pas été atteint dans une communauté donnée ou qu’il y a plus d’une «faction» intéressée/concernée par cette information. Il y a souvent un aspect de popularité qui peut choquer une sensibilité scientifique pure. D’ailleurs, lorsqu’il s’agit d’une information qui a été accaparée par un groupe ayant une large présence en-ligne (la «culture geek» euro-américaine, qui semble peu représentative de la diversité culturelle globale), on se rapproche de la pensée unique. Mais quand il s’agit d’information qui n’a d’intérêt que pour une communauté plus ciblée, l’effet est plutôt d’encourager le sens critique.
Du moins, c’est une «observation sauvage» de ma part.
Un autre point à considérer, ce « processing » de l’information est plus près de la construction de la connaissance que la transmission d’information journalistique. Le contexte est inscrit dans le processing et l’information est donc rapidement intégrée à la connaissance.
Malgré les risques d’uniformisation de la réflexion dans des cas extrêmes (disons, au sujet de systèmes d’opération ou de formats d’enregistrement vidéo), cette façon de «déléguer le traitement d’information» semble très efficace. Pas étonnant qu’elle puisse intéresser le monde militaire.