La bombe! « Des blogues rachetés par un grand groupe français pour des montants dans les 6 chiffres »! Enfin la reconnaissance de la valeur des blogueurs? STOP! Coup de grisou dans la blogosphère : c‘était un canular! Et un journaliste de Rue89.com de faire des gorges chaudes: CQFD. Je dis un instant! Reprise et ralenti sur image.
Silence sur le plateau…action!
Sortie, mardi soir sur les fils du web, d’un billet intitulé « OPA sur les blogs, blogguer peut enfin rapporter beaucoup » où est annoncé l’achat de Presse Citron, un blogue phare dans le Web 2.0, pour une somme non précisée, mais « chiffrée avec 5 zéros« .
Gros plan
« Ils ont aussi des vues sur 5 autres blogs High Tech, une demi-douzaine sur la programmation, autant dans les jeux vidéos. L’audience cumulée serait proche de 2 millions de visiteurs (uniques?) par mois et l’investissement reste sous les 2.5 millions d’euros » dit l’auteur dans son billet.
Zoom out
Les commentateurs se sont aussitôt livrés à des conjectures : « Le monde des blogs serait-il aux prémices d’un grand changement ? » Techcrunch relaie aussitôt cette annonce sur Twitter (« Des rumeurs d’acquisitions de blogs/bloggeurs en france« ) ainsi que JF Ruiz. Les blogues, et pas des moindres, reprennent le fils et acclame le « nouveau « business modèle » pour les blogues« : « mon blogue est à vendre » lit-on même!
Cut to the chase
Entre en scène, Augustin Scalbert, de Rue89.com, un site de journalistes qui utilise le web comme plateforme de publication, qui dévoile dans « Intoxiquer le Web, un jeu d’enfant » le canular qui a circulé et interviewe l’auteur: « J’ai fait ça pour voir l’effet boule de neige qu’a la rumeur sur Internet« . Le taux de fréquentation de son blogue a été multiplié par dix du jour au lendemain (en partant de très bas: 70 visites lundi) raconte le journaliste.
Ralenti
« En moins de 24 heures, Arnaud Jeulin a réussi une belle étude de cas de la rumeur sur le Web » poursuit le journaliste qui cite ensuite l’auteur du canular : « J’ai pris soin de bien présenter ça comme une information, et non comme une rumeur, en employant la forme informative.«
Freeze frame
« présenter ça comme une information«
Blow up
« information »
Rewind
« une belle étude de cas de la rumeur sur le Web«
Insérez surtitre
« intoxiquer le web, un jeu d’enfant«
Et coupez! C’est la bonne!
Analyse
Trois constats sur ce non-évènement.
1. Un journaliste se distingue d’un blogueur par sa méthode de validation des informations. Une information transmise par un journaliste est une information validée. Pas dans la blogosphère. Et il ne manque jamais le coup de le signaler (d’où le titre « intoxiquer le web, un jeu d’enfant »). Mais pourtant, pas plus tard que le mois dernier, le même journal a signalé un cas similaire dans la presse qu’ils auraient pu tout aussi bien intituler : « intoxiquer la presse, un jeu d’enfant » (MàJ: référence à Alexis Debat, un « expert en questions de renseignements », qui a duper pendant de nombreuses années les médias). Le monopole de duperie est bien distribué, merci. Et beaucoup de blogueurs ont souligné leur doute en qualifiant l’info de « rumeurs » (voir techcrunch).
2. Dans le monde en réseau où la sphère publique possède sur Internet un lieu ouvert et accessible à tous pour accéder aux sources, on s’attend du journaliste qu’il soit un filtreur de « sens », un « débroussailleur » de « mèmes », un pourfendeur de « rumeurs », un enquêteur de nos questions qui circulent sur le réseau. Le titreur de l’article de Rue89 ne semble pas le comprendre: on n’intoxique pas le web; le web contient déjà tout et son contraire. D’ailleurs, les démentis sont apparus sur les billets qui se sont fait avoir, le viral fonctionnant aussi dans les deux sens. Le web s’auto-corrige et les traces sont visibles.
3. La fonction d’un seul blogueur n’est pas nécessairement de valider une information, mais aussi de la relayer, qu’elle soit vraie ou fausse, bien qu’il faille faire l’effort de se penser comme un filtre et non comme un relais. Par contre la fonction de la blogosphère, l’ensemble de tous les blogueurs, c’est de valider l’information a posteriori. On peut dire que c’est une logique « post then process« . La blogosphère est une entreprise collective de millions de rédacteurs, de reporters, de réviseurs qui travaillent bénévolement. Une nouvelle écologie de l’information se met en place. La juger avec les vieux barèmes ne sert à rien.
Sequel
Le marketing viral par l’exemple. L’exercice de viral appliqué, expliqué par l’auteur du canular. Une bonne leçon.
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J’ai beaucoup écrit sur le sujet en 2005
La blogosphère et les médias (2005)
Internet est un amplificateur de phénomène (2005)
Il faut le downloader pour le croire (2006)
Bloggeurs, journalistes, même combat (2006)
Déformation blogo-professionnelle (2005)
Développement du savoir profane (2005)
La société des chroniqueurs (2005)
10 facteurs de crédibilité pour votre site web (2005)
Croire/berner (2005)
Le problème du filtrage de l’information sur Internet (2005)
Qui croire quand informations et connaissances circulent librement ? (2005)
et récemment
Verifiez vos sources (2007)
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Hahaha
J’imagine la tête de Michel Blanc avec « mon blogue est à vendre » pour 6 chiffres. Sur son blogue il a pas du tout apprécié ! Hahaha
Effectivement il faut faire un compromis entre rapidité et vérification de la source brute. Déja que les blogueurs savent pas toujours bien raisonner (avec bon nombre de journalistes) alors si en plus ils ont une mauvaise info brute ca devient vite des clowns.
Je pense que plus le média veut réagir vite plus il s’expose. blogue actif > tv, radio, quotidien > magazine hebdo > magazine mensuel > livre.
Bonne analyse sinon.
Paul, réactivité et validation sont des antonymes, oui.
Je crois important de relayer un maximum d’information pertinente, mais à ce jeu on peut se brûler si on veut danser plus vite que la musique.
Encore ici, il faut voir le tout dans son ensemble. Localement, des blogueurs –et oui, pas n’importe lesquels– sont tombés dans le piège (et franchement, si on met un piège, il ne faut pas se surprendre d’y tomber), mais globalement, le web a absorbé et corrigé le tir.
C’est ce qu’il faut comprendre : la correction se fait après coup dans la blogosphère. On dégaine et on pose des questions après. Ce n’est qu’un changement de stratégie, pas une tare nécessairement.
Vous l’exprimez bien à la fin de votre commentaire: dans la chaîne écologique de l’information les blogues occupent une place bien précise…
En préambule, je trouve vos articles toujours très pertinent et precis.
Cependant avec votre dernier article sur No Press je veux clarifier mon analyse.
J’ai parlé de « blog actif » et j’aurai du préciser sans doute davantage.
C’est délicat de parler de la blogosphère dans son ensemble.
Vous essayez de sortir des tendances soit mais ne résumez pas trop, svp.
C’est comme résumer le livre au roman.
Qu’est ce qu’un journaliste dans la presse ?
« Un professionnel qui travaille à la recherche, à l’analyse et à la diffusion d’informations concernant l’actualité. »
Il y a des formations académiques mais ce n’est pas obligatoire comme être médecin pour pratiquer.
Il y a des bons et des mauvais journalistes comme dans toute activité humaine.
Si demain un journaliste alimente son blog sur l’actualité. Cesse-t-il automatiquement d’être journaliste ?
Non ce n’est pas un cas purement théorique, j’en ai trouvé plusieurs dont un sur l’actualité échiquéenne.
Dans la presse papier, ils ont intérêts à vérifier leur information pour éviter les plaintes en diffamation.
Je ne m’embarrasse pas de ces classifications quand je vois la qualité moyenne des articles dans La Presse ou d’un autre journal grand public. Je parle ici davantage du traitement de l’information que de l’information brute.
Je ne m’attache qu’à la qualité de ce qui est dit quelque soit le support.
La « crédibilité » communément admise d’une source je m’en moque un peu avec mon expérience et pratique.
Je repère à l’intérieur d’une source jugé crédible ce qui est juste, probable ou faux.
Dans les sources jugés peu crédible, on peut trouver des choses intéressantes et justes ou qui font réfléchir comme ce canular.
Le problème c’est que peu de gens ont cette capacité de filtre et de raisonnement à voir ce que les gens disent et font.
Paul, vous visez juste quand vous dites que je cherche à tirer des tendances et vous faites bien de me rappeler de ne pas trop résumer.
Ce que je retiens de votre commentaire (et hop le naturel reviens au galop), c’est cette idée que la « crédibilité » se loge dans le sujet observateur et non dans l’objet observé. Ou, pour être plus précis, que le sujet possède des stratégies cognitives pour interpréter correctement (« crédiblement », si on me permet) une information (l’objet observé).
Je me passionne pour cette thématique (que j’associe à la mouvance de « l’autorité cognitive » dont je parle parfois sur mon blogue).
Loin de moi l’idée de réduire à des rôles fermés, et l’un contre l’autre, la blogosphère et le monde du journalisme. Les nébuleuses sont assez floues dans leur périphéries pour capter tout et son contraire.
Par contre, si on doit déterminer un épicentre, un lieu où la force centripète pousse toutes les particules, un centre d’attraction idéal, il est clair que le journalisme et la blogosphère n’ont pas le même point zéro. (et d’ailleurs ce point peut varier selon la personne qui cherche à le situer — mais dans les tous les cas ils possèdent des coordonnées suffisamment différentes pour dire que ces deux sphères n’ont pas le même rôle dans l’écologie de l’information.)
La « crédibilité » auquel je fais allusion est celle institutionnelle et non pas à un titre individuel.
On ne peut pas mettre sur le même pied d’égalité la citation d’un article du Monde et celui d’un billet. Ceci dit, on est en droit aussi de dire que l’on peut faire confiance à un auteur d’un blogue et pas à un journaliste.
La différence entre les deux, réside pour le premier à un crédibilité acquise par l’institution (une croyance a priori que l’information est valable –mais qui n’empêche pas une contre-vérification ultérieure) qui se transmets à ses membres (les journalistes –qui eux peuvent être sujet à caution–) et, pour le second, à une crédibilité personnelle (une « autorité cognitive ») au cas par cas (il peut avoir raison pour un billet et pas pour l’autre).
Vous y faites référence en parlant de « filtre » que chacun doit acquérir pour raisonner sur une information acquise. C’est une expérience tacite qui s’acquiert.
Je me demande si on peut la rendre explicite, cette expérience, c’est à dire l’enseigner ou l’expliquer.
Ceci dit, et je ne voulais pas trop m’éloigner de votre propos premier, les « blogues actifs » doivent se voir tout de même comme des filtres et non comme des relais en balançant leur responsabilité d’informer et celui de faire « de l’audience ».
Je crois que les blogues occupent une place bien précise dans l’écologie de l’information (oui, vous avez raison, je parle d’information brute). Mais que les usages plutôt marginaux –je crois que c’est comme ça que je vois mon blogue– ne sont pas assez légion pour définir la blogosphère dans son ensemble (et à ce jeu statistique les blogues ne seraient que des journaux intimes d’ado en mal de reconnaissance).
Dans la noosphère, terme pour la sphère des idées employés par je ne sais plus, les formats n’ont plus d’importance et une blogue peut tout aussi bien côtoyer un livre ou un reportage télé, puisque c’est le contenu qui compte (que vous nommez bien à propos « traitement de l’information »).
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COMMENTAIRE DE PAUL DE MONTREAL qui a eu des problèmes pour publier son commentaire ici
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(début)
Je n’ai pas encore lu tout vos articles que vous citez dans ce billet mais c’est un sujet de réflexion que j’ai aussi depuis un certain temps. De ce que j’ai lu, je partage assez votre opinion mais avec des nuances que peut être vous escamotez volontairement pour la force et concision de vos articles.
(citation) »On ne peut pas mettre sur le même pied d’égalité la citation d’un article du Monde et celui d’un billet. »
Oui mais le fait de base que ce soit une citation, un témoignage, un montant … n’a de valeur que dans un contexte correctement retranscrit.
Avec des citations judicieusement prises (et souvent courtes) on peut faire dire ce qu’on veut ou presque à un auteur. De même que si vous prenez un seul témoignage d’un fait divers il peut être honnête mais erroné.
Donc le choix de ces données initiales et le contexte sont déterminants pour la qualité de l’interprétation d’un évènement et fait déjà parti du traitement de l’information.
En l’abordant sous cet angle élargit, je dirais qu’au niveau statistique, vous avez raison et je ne veux pas tomber dans la tendance actuelle sur le net de critiquer la presse traditionnelle et le JT TV pour être béat d’admiration face aux blogs et le « journalisme citoyen ».
Dans l’absolu, je ne suis pas d’accord.
Il faut distinguer la presse généraliste et la presse spécialisée. Pour un sujet sur le blog voir l’internet, je vais avoir plus d’intérêt à lire votre billet que celui du Monde ou d’un autre grand quotidien généraliste. Pour un sujet politique je peux trouver une meilleure information (base+traitement) sur un blog que dans la presse.
(citation) »Vous y faites référence en parlant de « filtre » que chacun doit acquérir pour raisonner sur une information acquise. C’est une expérience tacite qui s’acquiert. »
Pour le filtre, il faut selon moi d’abord un raisonnement de qualité et des connaissances qui s’acquiert avec l’expérience. « Une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine. »
Dans mon cas, je pense que ma formation en mathématiques m’a été utile pour éduquer ce raisonnement logique, méthodique capable de vérifier la cohérence d’un discours.
Pour revenir à l’information brute ou de base.
Le journaliste est un intermédiaire entre le fait qu’il essaye de traduire en information. Son traitement sera plus ou moins important et sophistiqué outre son travail de validation : une mise en perspective et des conséquences par exemple d’un propos politique. Un journaliste de l’AFP fera par exemple un traitement plutôt rudimentaire. Comme lecteur on ne peut souvent que juger de la qualité du raisonnement, la qualité du traitement, de l’analyse.
Le fait de base n’est pas vérifiable directement autrement que par un recoupage de source qui si elle concorde donne une bonne probabilité que c’est correct. On a vu pendant la guerre du golfe que tout un système peut être trompé avec une seule source d’information contrôlé par l’armée US et qui donne une multitude d’information traitée au niveau du lecteur et spectateur TV. Dans le principe ce risque est exacerbé avec juste 2 intermédiaires l’AFP et Reuters dont tous les journaux se servent. Si ces 2 sources sont abusées tout le système tousse.
Lors des élections françaises 2007, je me suis rendu compte que l’information d’un journal comme Le Monde peut être FAUSSE. C’est grave que ce soit par ignorance ou par incompétence. J’ai pu voir la source à travers une TV du net qui a retranscrit les discours en entier d’un politicien (Bayrou.tv). J’étais désagréablement surpris mais j’étais mieux renseigné en regardant directement ces discours que l’article qui traduisait très mal les idées du politicien. Si ensuite les journalistes JT n’assistent pas non plus à ces conférences et ce servent du travail d’autres journalistes « brouillons » de la presse ou AFP ca aboutit à une monumentale désinformation de masse.
JT : Journal Télévisé
Paul de Montréal
(fin)