Je vous montre la lettre et j’y réponds en dessous. On ne le fera pas à la twitter. Débranchez votre téléphone, cherchez du café et allumez-vous une cigarette.
Tiré de la newsletter du site de ConstellationW, (un hub interactif, un réseau international et un modèle conceptuel de la société du savoir, celle du XXIe siècle) dont j’avais parlé lors de son lancement il y un peu plus d’un an.
Après dix-huit mois d’existence, le temps est venu d’évaluer l’aventure que nous vous avons proposées à la fois comme site Web, comme outils (newsletter, webographie et commentaires) et comme réseau de participation.
L’aspect visuel : un succès
Nous avons expérimenté avec succès des recherches d’écritures médiatiques : un code iconique, une utilisation intégrée de deux cents schémas (originaux et fournis par différents auteurs) et une rédaction de textes courts. Les hypothèses se sont concrétisées et une nouvelle phase aurait pu être entreprise dans ce secteur qui deviendra de plus en plus important au fur et a mesure que de nouvelles clientèles se joindront à Internet.Au niveau des idées : un insuccès
ConstellationW a proposé un modèle d’analyse d’une société à trois pôles ainsi que diverses hypothèses d’exploration. Mais aucune de ces idées ne fut empruntées par d’autres groupes. On dit que les idées gouvernent le monde, mais à la condition qu’elles soient partagées. Dans le cas de ConstellationW, ce ne fut pas le cas.L’aspect participation : un échec
Sur papier, la liste des auteurs, collaborateurs et groupes mailleurs dans notre monde francophone était impressionnante (plus d’une cinquantaine de personnalités). Le noyau de départ était de qualité.– Première constatation : des intelligences isolées
Mais voilà, chaque personne concernée n’a pas eu le temps de participer (tout le monde se plaint de recevoir 100 courriels par jour). Une chanson dit Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir. Le problème ne vient pas du nombre de visiteurs du site ; il vient du fait que nous voulions développer un outil de collaboration et de participation, hors à peine seize collaborateurs sur plus de cinquante ont vraiment participé. En fait, nous avons assisté à un feu d’artifice d’intelligence isolées mais peu portées vers des efforts collectifs.– Deuxième constatation : le brouhaha du Web
Actuellement, tous les internautes désirent exprimer leurs opinions (blogues, wiki, etc.) mais peu lisent ou écoutent les autres. Le Web, où des millions d’informations non validées circulent dans le plus grand désordre, devient cacophonique. Cette cacophonie d’un Web encore adolescent est imposée actuellement par la quantité qui l’emporte sur la qualité (un internaute devient important parce que des milliers de personnes lisent son texte et non à cause de la pertinence de ce texte). Cette cacophonie actuelle empêche la création de synthèses collectives face aux exigence d’un changement profond, d’un renouveau démocratique et d’un new deal socioéconomique. Nous allons payer cher notre incapacité actuelle a lire les signaux qui s’accumulent depuis cinq ou dix ans.Aujourd’hui, plusieurs individus lancent des opérations de veille portant sur l’évolution de notre société, ce qui est louable, mais elles sont sans modèle et sans liens avec les autres, ce qui empêche un mouvement d’émerger.
– Troisième constatation : la francophonie ne fonctionne pas
L’idée de réunir des francophones des deux côtés de l’Atlantique n’a pas fonctionné malgré quelques « irréductibles Gaulois ». Parce qu’en général les Français se replient constamment sur l’analyse de leurs défis franco-français, ils confondent francophonie et francocentrisme (voir l’analyse d’Abdou Diouf, Le Monde, 20 mars 2007). Cet isolement fait, qu’après plus de vingt ans, la francophonie demeure encore une utopie ; ce qui coûtera très cher à la langue française et aux Français. Une approche France-Québec (combinant analyses sociétale et analyses technologiques) aurait apporté beaucoup face au défi du modèle unique imposé par la mondialisation.Et maintenant ?
À cause de cette absence de participation, chacun d’entre nous demeurera isolé. Pourtant, seulement la voix de groupes organisés aurait pu tenir en respect les forces du marché qui essaient de contrôler notre société.
Alors qu’Internet devient la scène où se prépare l’avenir (parce que c’est l’espace où les symboles et leurs sens sont échangés partout sur la planète) il n’y aura pas d’approche francophone capable de contribuer différemment aux discussions qui s’amorcent.
Nous allons vivre dans un monde où l’on ne pourra même pas se mettre d’accord sur le diagnostic d’un problème. D’ici quatre ou cinq ans, devant l’ensemble des crises qui s’amoncèleront, on s’apercevra que nous devrons changer le modèle de notre société et acquérir de nouveaux outils capables de gérer la nouvelle complexité postindustrielle, objectifs de ConstellationW.
Alors, les générations montantes tenteront de refaire le monde en ignorant que d’autres avant eux avaient oeuvré dans ce sens. Ils recommenceront encore une fois à zéro. Il ne reste que la honte de partir sans laisser d’héritage à ces prochaines générations.
La dernière phrase est bien navrante, car Michel Cartier (l’expéditeur de la lettre) est considéré comme le grand-père du multimédia au Québec. Je ne crois pas qu’il doit « avoir honte à partir sans laisser d’héritage ». Dans son cas, ce n’est peut-être pas l’héritage qu’il veut laisser, mais il en a laissé un tout de même.
Je crois que de tout temps les générations postérieures ont toujours décidé par eux même de choisir ou non leurs héritages des générations antérieures. Croire que l’on peut figer à jamais des solutions c’est croire que l’expérience peut se transmettre.
Il est malheureux d’en arriver à ce constat d’échec. Je ne suis pas d’accord dans un certain sens : le hub n’est pas fonctionnel, mais le modèle Internet n’est pas à défaut (quoiqu’il n’est pas tout à fait en place). Les idées sont partagées quotidiennement, de façon informelle et non structurée. Toutes les personnes qui n’ont pas « participé à ConstellationW » ont été des vecteurs de propagation de connaissance et de savoir. Il faut voir la liste des participants pour comprendre qu’ils n’ont jamais cessé d’être inactifs individuellement et pour leur communauté proche. Ces échanges ne se sont simplement pas matérialisés sur le hub.
Il est malheureux, oui, d’en arriver à ce constat, car, l’insuccès de ConstellationW est aussi dû à une tentative, pour paraphrasé le communiqué, « de refaire le monde numérique en ignorant que d’autres avant eux avaient oeuvré dans ce sens. »:
Le problème de participation en ligne suit une courbe de vie qui a été observée depuis le début des premières communautés. Il y a certaines solutions pour y remédier, mais il est rarement réglé avec de la bonne volonté seule. On oublie, aussi, souvent que les groupes et les associations « hors ligne » ont aussi des courbes de vie et que si jamais ils possèdent une durée exceptionnelle c’est qu’il s’est métamorphosé de l’intérieure. La France éternelle a 40 ans. Avant mai 68, c’est le Déluge (changer 68 par 45 ou 14, c’est la même chose). Le parti Travailliste britannique n’a que le nom qui se perpétue. L’Écosse veut se séparer sur des bases qui ne sont plus les mêmes qu’au départ. La Chrétienneté et le monde musulman ont tellement changé depuis leur fondation qu’il est difficile de comprendre ce que veut dire « revenir à la tradition ». Les caractères chinois sont restés les « mêmes » en 5000 ans, mais en changeant de forme et de prononciation. Qu’est donc cette équivalence entre les corps sociaux dont tous les membres ont été renouvelés? Suis-je le même, moi dont toutes les cellules se sont renouvelées depuis la naissance, dont toutes les idées se sont métamorphosées? quand est-il donc d’un groupe? Le problème des groupes virtuels c’est qu’ils habitent une adresse fixe (url), figée et univoque, alors qu’ils sont naturellement en mouvance et ambivalents. Le langage humain permet ce floue artistique que le langage informatique ne peut digérer.
Oui, il est malheureux de faire constat, car il existe des explications qui sont à la fois techniques et humaines. Technique, car l’indexation, l’optimisation du site auraient pu rendre plus visible le site (ce qui aurait diffuser l’information); des outils de mise en contrôle par le visiteur auraient permis son implication; un rayonnement web est aussi techniquement nécessaire pour attirer ces regards qui sont le salaire des idéateurs. Bâtir l’audience, séduire des collaborateurs (on n’attire pas des mouches avec du vinaigre), c’est aussi de la technique. On ne déclare pas un insuccès par qu’il n’y a pas a manqué d’audience, c’est parce qu’il n’y a pas d’audience qu’il ne peut y avoir de succès.
Oui, il est vrai, qu’il y a morcellement du groupe. Mais seulement en apparence. il se forme ailleurs, autrement, informel, non structuré, atomisé, fluide et se mutant sous des formes que l’on ne perçoit pas encore comme des formes. ConstellationW n’est pas un insuccès. Il n’est que le jalon d’une longue marche vers un monde totalement inconnu.
Merci de ton analyse Martin. Je partage ton désaccord avec le constat d’échec même si je comprends la légitimité du verdict posé par M. Cartier. Personnellement, je ne suis pas retourné chez ConstellationW depuis le lancement; je n’avais trouvé aucun fil de nouvelles pour m’abonner et aucun visiteur n’est venu sur «Mario tout de go» en provenance du site, malgré que je figure sur leur blogoliste. La grande majorité des contributeurs de ce site demeurent des personnes phares en ce qui me concerne, mais il demeure un mystère pour moi qu’ils n’aient pas le réflexe d’aller commenter les billets des autres pour faire leur place dans le réseau. Les conclusions tirées dans cette lettre de M. Cartier sont sévères et me paraissent teintées d’amertume. Comment tendre la perche maintenant aux personnes de ce groupe pourqu’elles se joignent aux autres réseaux qui cheminent???
Je partage largement l’analyse de Martin, ainsi que les compléments apportés par Mario.
D’une part, il est vrai que « l’insuccès de ConstellationW est aussi dû à une tentative […] de refaire le monde numérique en ignorant que d’autres avant eux avaient oeuvrés dans ce sens. » — mais il n’était pas inutile d’essayer…
D’autres part, je crois qu’il ne faut pas sous-estimer, Mario a raison de le rappeler, que le site manquait cruellement de mécanismes de soutien au développement des réseaux qu’il appelait d’autre part de ses voeux. L’absence de fils RSS est, dans ce contexte, absolument invraisemblable.
C’est pourquoi si je crois que s’il est dommage de constater l’amertume de Michel Cartier au moment où il ferme le site (sans archivage, ni suivis: c’est déplorable!) — il est tout à fait incorrect de faire porter le poids de l’échec « à ceux qui n’ont pas participé »… les lacunes de l’espace où nous aurions souhaité voir naître une « communauté » constituent une explication au moins aussi satisfaisante.
Par conséquent, plus encore que l’amertume de Michel Cartier, ce que je trouve triste dans cette histoire, c’est de constater que ce pionnier du cyberespace québécois trouve comme seule explication de cet échec l’éternel « les gens ne sont pas assez fins pour participer ». C’est trop facile.
Il aurait été préférable de conclure en affirmant « qu’une fois de plus nous constatons que nous n’avons pas trouvé la bonne manière pour permettre la collaboration des francophones autour de ces enjeux ».
En ce qui me concerne, c’est la seule conclusion qui vaille dans le cas présent.
Quoi qu’il en soit Michel Cartier n’a surtout pas à avoir « la honte de partir sans laisser d’héritage à ces prochaines générations ». Bien au contraire!
Son oeuvre est bien trop vaste et importante pour que l’héritage qui en découle soit tributaire de l’existence d’un simple site Web…
Clément Laberge
« il se forme ailleurs, autrement, informel, non structuré, atomisé, fluide et se mutant »
Je crois que le « problème » de ConstellationW se trouve là : on a tenté d’imposer, un tant soit peu, une structure par le haut (top-down). Ça ne pouvait pas fonctionner tel que rêvé par ses créateurs. L’Internet, on me permettra le cliché, est organique; la façon d’obtenir un milieu fécond n’est pas de le construire de toute pièce, mais bien de mettre en place quelques éléments, quelques balises et instruments, comme on place des nutriments dans une boîte de Petri pour y faire se développer un micro-organisme. En ce sens, je ne peux qu’appuyer la conclusion proposée par Clément.
Par ailleurs, le passage affirmant qu’Internet est « l’espace où les symboles et leurs sens sont échangés partout sur la planète » m’a fait crigner. La planète ne comprendrait-elle qu’une infime partie de l’Afrique noire (par exemple)? Je peux comprendre la justification dans le contexte, mais ne nous faisons pas d’illusion, Internet reste le privilège d’une minorité.
Assez classique, on rejette ses propres erreurs en disant qu’elles sont celles des autres. Si les gens n’ont pas participé, c’est peut-être parce que, malgré toutes ses qualités, Michel Cartier ne propose pas une vision et une analyse dans lesquels les gens parviennent à s’exprimer. Martin, Clément et Mario ont raison… Et puis, à force de rouler pour soi, difficile de dire aux autres de venir rouler avec soi.
Constellation v1 était une belle tentative qui a échoué pour des raisons de jeunesse certainement, de manque de clarté éditorial et d’objectifs communs. Constellation v2 était certainement trop cartiercentrique.
Rejeter le bébé avec l’eau du bain est une posture assez facile. Quant à y voir la conséquence de l’échec de la francophonie toute entière… il y a là encore des raccourcis que je ne franchirais pas.
Un gaulois.
« Parce qu’en général les Français se replient constamment sur l’analyse de leurs défis franco-français, ils confondent francophonie et franco centrisme. »
Comme ce fut dit avant moi, c’est un peu simple de rejeter la faute sur les autres, certes les Français sont connus pour leur égocentrisme cependant il est difficile de tenir rigueur de leur non-participation si le support minimum nécessaire n’est pas mis en place.
De plus je pense que chacun est libre de participer à ce qui est susceptible de l’intéresser. On ne peut blâmer quelqu’un pour son manque d’intérêt envers une cause ou un but ne lui appartenant pas et ce d’avantage encore si les moyens mis en oeuvre pour les autres ne sont pas suffisamment attractifs.
Enfin, peut-être en effet les Francophones ne sont pas encore prêt pour aborder le rêve de M. Cartier, cependant je ne partage pas son pessimisme quant au futur de notre langue et de ses utilisateurs.
Michel Cartier écrit:
Cette cacophonie actuelle empêche la création de synthèses collectives
et Martin écrit:
Les idées sont partagées quotidiennement, de façon informelle et non structurée.
En fait, je suis un peu en désaccord avec les deux affirmations:
– des synthèses collectives se créent
– certaines structures et certaines formes se créent aussi.
La nuance, c’est que ce sont les utilisateurs qui créent ces structures et ces niveaux de formalités. Elles ne nous sont pas imposées par qui que ce soit.
Par ailleurs, je souris à l’utilisation du nous dans la première phrase du mot de M. Cartier:
Après dix-huit mois d’existence, le temps est venu d’évaluer l’aventure que nous vous avons proposées (…)
C’est (peut-être) un peu symptomatique du résultat: le pouvoir de choisir les sites, les outils et les réseaux, il appartient maintenant à ceux qui se font inviter à participer et non à ceux qui les proposent.
MS
Je rejoins les avis donnés plus haut, dommage qu’une belle initiative de ce genre (mais peut-être un peu trop « intellectualisante ») se termine de la sorte, sans se donner la possibilité de rebondir.
Pour ma part, le passage « Parce qu’en général les Français se replient constamment sur l’analyse de leurs défis franco-français, ils confondent francophonie et franco centrisme. » m’a particulièrement fait bondir. D’une part parce que cela revient à désigner de manière commode et méprisante une communauté, d’autre part parce qu’il serait tout aussi absurde de retourner le compliment aux québécois…
Pourquoi a-t-il fallu que ConstellationW disparaisse pour que j’aprenne son existence ?
N’y aurait-il pas eu un problème de communication ?
Mobiliser l’intelligence collective en face à face, en virtuel, en RSS est toujours un défi quels que soient les outils, les méthodes,…
Michel Cartier a voulu relever le défi et il a lancé un projet très ambitieux. J’ose croire qu’il renaîtra de ses cendres sous une forme ou une autre…
je suis français, je connais les écrits de Michel Cartier depuis l’an 2000 (environ). Je les avais perdus, puis retrouvés sur le web en 2005. Ils font parti de mes modèles théoriques dans le développement de mes sites web, en tentant d’intégrer de façon systématique les notions d’individus, groupes d’intérêts, entreprises, les notions technologique, sociétale et économique. Mais je l’avoue, je ne cherche pas à diffuser son ouvrages car pour moi, cela me permet d’avoir une avance concurrentielle dans la compréhension de l’architecture web comme outils d’un nouveau modèle de Société. c’est ça la France !
Anonyme français. Dans un monde d’abondance d’information, même la promotion d’ouvrage ne permet pas qu’il se transmette facilement. En fait, la promotion d’un ouvrage ne favorise pas nécessairement l’ouvrage mais souvent le promoteur. Dans l’espace d’information facilement accessible qui se crée en ce moment, « pousser » une information donne actuellement bcp de crédibilité à celui qui la pousse.
Et souvent le promoteur gagne davantage en « réseautant » car il rencontre d’autres fervents avec qui il se retrouve à échanger, et donc à apprendre davantage.
C’est même un plus grand avantage concurrentiel à la longue…