Joy Smith, du parti Conservateur à Ottawa a proposé mercredi dernier une Loi sur l’assainissement d’Internet (C-427). Certains pays qui censurent Internet doivent se mordre les doigts de ne pas y avoir pensé avant. (via Michael Geist)
Sautons tout de suite à l’article 4 si vous voulez bien.
4. (1) Nul ne peut offrir des services de fournisseur d’accès au réseau Internet ou exploiter une entreprise offrant de tels services à moins d’avoir obtenu une licence de fournisseur d’accès au réseau Internet aux termes du paragraphe (2). (c’est moi qui mets en italique)
Je reprends pour être sûr que l’on comprenne tous la même chose : il faut une licence pour devenir fournisseur d’accès. Et qu’est-ce que l’on dit au paragraphe (2) à propos de ce qu’est un fournisseur d’accès au réseau Internet?
2. « Fournisseur d’accès au réseau Internet » Personne qui fournit des services permettant l’accès au réseau Internet, que ce soit gratuitement ou contre rémunération. (c’est moi qui mets en italique)
Je souligne une deuxième fois pour être sûr que tout le monde suit : gratuitement ou contre rémunération c’est la même chose! Tu as bien lu, Mike, ça veut dire aussi Île sans fil. Ou vous, oui vous, avec votre routeur wifi non protégé.
Et qui gèrera la licence? Le CRTC, voyons. Non!? Si!! Lisez vous-même, bande de Thomas!
4. (2) Le Conseil délivre une licence au demandeur qui répond aux conditions prévues par règlement […]
Définition de ce que veut dire « conseil« ?:
2. « Conseil » Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes constitué par la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
Le CRTC! Dont la devise est : « la communication dans l’intérêt du public » (sic).
Et sous quels prétextes, SVP? Pour assainir Internet. Oui madame! Pour assainir Internet!
Conservateur comme dans conservateur
Assainir Internet et limiter la communication de ce qui ne plaît pas. Oh, n’allez pas croire que c’est 1984! On commence toujours pour les bonnes raisons.
Ici le projet de loi de madame Joy vise à empêcher l’utilisation du réseau Internet pour la distribution de pornographie juvénile, de documents destinés à préconiser, promouvoir ou encourager la haine raciale et de documents présentant ou encourageant la violence contre les femmes.
Ça ne vous rappelle pas la Child Online protection act de Bush? Qui peut être contre la vertu? Moi!
Car ici on utilise les bons sentiments pour faire une mauvaise chose. On peut criminaliser ces gestes (et je crois qu’ils le sont déjà) mais on ne peut « empêcher » l’utilisation d’un outil pour faire ces gestes criminels ! Et en empiétant sur la vie privée de tout le monde de surcroît!
Pourquoi ne pas empêcher à la place les caméras, les appareils photo, le papier à imprimer, le fil USB, la mémoire Flash?!?! Ou le téléphone, les cassettes VHS, la parole, la pensée. On arrêterait ainsi le mal à la source! Hop une license pour penser. C’est de là que se propage le mal après tout.
Danger, madame Smith, danger!
Comprenez-moi bien. Je suis pour la protection des enfants. Mais on ouvre ici la boîte de Pandore :
13. (1) Aux fins de l’exécution d’un mandat de perquisition délivré en vertu de l’article 487 du Code criminel relativement à une infraction constatée ou soupçonnée à la présente loi, le ministre peut prescrire les pouvoirs spéciaux qu’il juge raisonnablement nécessaires pour faciliter les recherches dans les banques de données, les mémoires ou les systèmes informatiques.
(2) La délivrance d’un mandat conférant les pouvoirs visés au paragraphe (1) est régie par les mêmes principes d’autorisation et de motifs de soupçons, et les mêmes procédures et conditions de délivrance qu’un mandat de perquisition délivré aux termes du Code criminel.
En clair (je veux être sûr que l’on me suive jusqu’au bout) : sous simple soupçon on peut prescrire des pouvoirs spéciaux pour ce que j’appelle une perquisition électronique.
Garde-fou pour gardes fous
Quand la loi sera passée, on aura juste à élargir le spectre des crimes pour accommoder n’importe quelle dérive. Et même, obliger légalement tous les fournisseurs à devenir leurs espions.
10. (1) Le ministre peut ordonner au fournisseur d’accès au réseau Internet de prendre tous les moyens raisonnables à sa disposition pour empêcher les abonnés d’avoir accès aux documents [criminels visés dans le présent projet de loi] qui se trouvent sur le réseau Internet et que le ministre déclare, après une enquête raisonnable, être visés par les articles 6, 7 ou 8.
Pour les articles 6,7 ou 8, je vous laisse faire le travail vous même.
À reculons, tous!
Je crois que cette loi relève d’une vision archaïque provenant des médias traditionnels et ne s’applique pas à Internet.
Au lieu de dépenser nos taxes dans une excroissance cancérigène de la fonction publique, afin de surveiller en copies rose, saumon, jaune et or les accès à internet, investissons dans l’augmentation des affectifs aptes à parcourir le réseau à la recherche de ces criminels. La loi c’est la loi. Pas besoin de projet-ci (et Dieu merci, il y a peu de chance qu’il soit adopté).
Contrairement à un mythe bien répandu, il y a moyen de retracer la plupart des communications ou des transferts sur Internet. Souvent les criminels sont à l’étranger (où se base sur des services à l’étranger) et aucune loi locale comme celle que Madame Smith veut mettre en place n’empêchera ça. Ou si! En imitant la Chine! Bel exemple!
(image de l’affiche via Max)
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Lire aussi sur Zéro Seconde (Mars 2006) à propos de la vie privée
Google et vie privée
Marchants et vie privée de masse
GDrive et privatique
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Bonjour Martin,
Que tout cela est bien dit et pertinent ! Je vous suis sur toute la ligne !
Brillante analyse! Je craignais ce moment depuis quelques temps. Les biens-pensants agissent souvent sans nuancer leur idées…
Je ne me rappelle pas qui disait : «Il y a deux raison pour faire les choses; une bonne raison et la vraie raison ».
Je soupçonne fortement que l’usage de l’expression « Dieu merci » dans ton texte ne soit pas fortuite. 🙂