Non classé

Astroturfing : l’usurpation de représentativité

Fake PicassoJe viens d’apprendre un nouveau mot (merci Michael Lenczner ) : chez les Américains, le néologisme « astroturfing« (définitions sur Wikipedia et SourceWatch) décrit un projet secret de relation publique qui cherche délibéremment à forger l’impression qu’il s’agit d’un mouvement populaire spontané (« grassroots« ) . (Astroturf est le nom commerciale de l’herbe synthétique utilisé dans certains stades)

Le but de la manipulation est de créer l’apparence d’un public autonome qui réagit ou promeut un service, un évènement, un produit, une compagnie ou une politique. Notamment via des communications aux journaux, à travers des blogues /forums ou sur la place publique. La mesure du succès est évaluée au nombre de vrais supporteurs qui s’ajoutent de bonne foi au mouvement.

Manip 2.0
La manipulation n’est pas nouvelle et existe depuis que l’opinion publique est devenu une force politique (pensons à la triste Nuit de Cristal en 1938). Son nouveau visage via la montée d’Internet force la suspicion sur tous projets qui se veulent « grassroot » afin d’éviter la manipulation idéologique, gouvernementale ou commerciale.

Les sources de la manipulation en soi sont multiples, et en un sens nous sommes tous, individuellement, manipulés d’une façon ou d’une autre, (et c’est une discussion philosophique qui mérite un billet à part), mais l’astroturfing est une variante du mensonge sur la place publique car il est basé sur une « usurpation de représentativité » et s’apparente à de la désinformation.

Les exemples cités dans les liens plus haut concernent surtout les manipulations gouvernementales. Mais les compagnies me semblent aussi une menace.

Dans une réalité démesurée où l’expérience du monde « de première main » laisse toute la place à des « expériences transmises par des tiers », se faire une idée par soi-même demande l’apport de stratégies nouvelles (dont les autorités cognitives dont j’ai souvent parlé ici).

Propagande anonyme
L’intox, la désinformation des pensées citoyennes, dépasse la simple publicité (qui possède des codes de reconnaissance relativement clairs et fait normalement appel à un contrat explicite entre le public et le marchant) pour entrer dans la domaine risqué de la manipulation des perceptions. Le placement de produit est sur ce terrain instable.

Sur le web l’absence d’identification, via les pseudos, permet ce genre de propagande. Des commentaires laissés sur des blogues, des forums permettent de répandre un point de vue. Seul le recoupement des adresses IP permet de deviner que les « différents » commentateurs sur différents sites proviennent du même ordinateur, ou d’un ensemble d’ordinateurs.

Plus c’est gros, plus on y croit
À un niveau industriel, la technique peut faire frémir. Dans un très long commentaire sur le blog de Bernard Salanié, on décrit un processus pour forger une « communauté de réputation » sur un site très connu de vente aux enchères. Avec un peu de temps et d’argent, il est possible de monter une banque de milliers d’usagers bidons qui se « vendent » et « s’achètent » mutuellement des produits pour « augmenter leur réputation ».

Il ne reste plus ensuite qu’à « marchander » le vote d’influence (« je te vends 20 votes positifs pour 1000$ ») pour « faire monter » dans la communauté celui qui veut brûler les étapes ou tromper le monde.

Pour contrecarrer de tels astuces, il faut beaucoup de temps, donc de l’argent. A ce jeux, les individus seront toujours moins fort que les corporations.

Comment voulez-vous, vous qui allez acheter un bidule sur un tel site d’enchère, vous mettre à passer en revue chaque commentaire d’acheteurs pour « vous faire une idée » de la crédibilité du vendeur? Quand vous voyez 99% de commentaires positifs sur 1000 acheteurs, n’est-ce pas une preuve suffisante? Vous n’avez pas les moyens de vérifier, le coût est prohibitif.

L’empreinte de la fraude à grand échelle
Il y a pourtant un moyen pour déterter de telle fraude. Pour les sites ayant recours à la « réputation » ou tout système de « crédibilisation », c’est simple. Ça demande de la transparence. Ils devraient offrir un outil statistiques supplémentaire aux usagers : en créant des graphes de clusters des relations acheteurs/vendeurs.

Une machination d’usagers bidons devraient apparaître comme une excroissance où les usagers (acheteurs et vendeurs) se retrouvent d’une façon ou d’une autre rattachés ensemble d’une façon trop rapprochée. Éventuellement des patterns pourraient être détectés ou du moins devenir reconnaissable.

L’enjeu des prochaines années
L’enjeu de l’identité (et donc de la représentativité) ne fait à peine qu’émerger comme problématique collective, et il reste beaucoup à faire: à ce jeu Internet est plus un révélateur qu’un cheval de Troie. Sur Internet la suspicion permanente est de mise. Pourtant les récents scandales financiers nous démontre bien qu’il devrait en être de même pour le monde « offline »

Je l’ai écrit l’année passé, je mise sur l’espoir que la nouvelle génération sera davantage un filtre qu’un relais dans leur utilisation d’Internet. Si les marchés sont des conversations, alors il faut connaître avec qui on discute avant de reprendre indistinctement ce qu’il dit. Ou, comme le disent, les anglais follow the money! pour connaître les motivations de nos interlocuteurs.

Image du faux-Picasso par Matteo Miller-Nicolato

Documents
Follow the Money: Exposing Big Tobacco Front Groups (PDF) un excellent document (américains) pour décortiquer les groupes écrans et trouver qui manipule qui (axé principalement pour les groupes défenseurs des droits des non-fumeurs).
« astroturfing » selon Wikipedia (english)
« astroturfing« selon SourceWatch (english)
« astroturfing« selon JarfonFile (english)
Voir aussi « Agitprop » selon Wikipedia (français)
Astroturfing + pseudonimity + personal broadcasting : les nouveaux visages de la désinformation ?
Modèle de propagande de Chomsky (Wikipedia english)

Billet original sur http://zeroseconde.com

ZEROSECONDE.COM (cc) 2004-2012 Martin Lessard

Contenu protégé selon la licence Paternité – Pas d’utilisation commerciale – Partage des conditions initiales à l’identique 2.0 de Creative Commons

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

6 thoughts on “Astroturfing : l’usurpation de représentativité

  1. Merci Olivier, bien heureux que tu m’aiguilles sur un de tes billets que je n’avais pas lu. La « réputation » sur le web me semble aussi illusoire que dans la vraie vie, mais c’est nécessairement une étape obligée.

  2. L’astroturfing est une plaie béante au flanc de la pub, personne ne peut imaginer le nombre d’agences de communication qui proposent ce mode de communication inepte à leurs annonceurs. Faux blog par ci, faux forum par là, bref, la France astroturfe également, et les annonceurs qui se laissent berner par ces mauvais conseils auront bientôt l’ire de leurs client à gérer…
    Aucune communication ne devrait être bâtie sur le mensonge, c’est une erreur à la fois éthique et pratique, car il existe d’autres approches, respecteuses des Internautes et des communautés.
    http://www.astroturfing.fr

  3. Bertrand, je suis bien d’accord. Mais le mensonge ne fait-il pas partie de la publicité. Ou, plutôt, se « raconter des histoires » n’est-il pas le propre de la pub? C-à-d se situer au delà de la vérité et du mensonge.

    Ce qui m’étonne (et qui m’enchante) est que ce procédé ne marche pas sur Internet. Un site, un blogue, ne peut pas être astroturfé…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *