Je me suis attardé dans mes deux derniers billets sur des publicités bien banales trouvées dans le New York Times. Être tombé coup sur coup sur elles, en quelques pages, malgré leurs inoffensives apparences me fit penser que l’accès à la connaissance participe à une mythologie qui ne date pas de l’arrivée d’Internet.
Boule à mythes
Après m’être interrogé sur le mythe de l’apprentissage à distance puis le mythe de l’apprentissage en tout temps, il ne me reste plus qu’à soulever, oh juste le coin, d’un dernier mythe tenace alors même que déferle en Occident un déluge d’information de toute sorte permettant, théoriquement, de mettre tout le monde (branché) à un clic de tout le savoir.
3- Le mythe de tout apprendre
Attardons-nous en premier au titre du livre que vante cette publicité : » Comment presque faire un million de dollars« . Notez l’hilarité de l’adverbe. Alors, il a fait faillite ou il a réussi? Le sous-titre n’est pas plus rassurant, « Je l’ai presque fait. Vous pouvez presque, vous aussi, le faire« . On se demande s’il le fait exprès. Décontextualisé ainsi, le titre ne fait pas grand effet, mais ce n’est pas le but ce mon propos. C’est le genre auquel il appartient qui m’intéresse ici.
Cette mode de livre « how-to » (surtout quand on propose au quidam une façon de devenir riche) semble prendre le lecteur pour un imbécile qui s’ignore. Toi, dit-on, qui lis ma couverture, tu n’as pas encore compris? La recette est dans le livre, idiot !
Comme si le statut économique dépendait de la possession d’une information –ce qui ne veut pas dire que ce n’est jamais le cas, mais statistiquement ce n’est pas le cas pour tout le monde–.
Dans le cas présent, l’annonce ajoute que « la moitié du monde peut lire ce livre dans leur propre langue« . Si tout ce beau monde pouvait le lire, ç’en serait fini de la pauvreté!
On oublie vite que dans un système capitaliste, quand tout le monde « s’enrichit », ça crée de l’inflation – – ce qui annule toute richesse!!
À moins que ce soit un appel à faire vite : devenez riche avant que l’autre moitié de l’humanité le devienne (notre système capitaliste récompense toujours ceux qui vont plus vite que les autres).
Learn everything
Mais voilà, ce livre, et tous les livres de ce genre (le « how-to » du savoir pratique) — et dont certains sont certainement très utiles — joue sur la possibilité de « comprendre » en « possédant ». Si de tels livres existent, c’est qu’il y a une très grande propension du public à croire que l’information pour apprendre quelque chose de pratique se fait par la simple acquisition de l’information.
En possédant ce livre — ou plutôt, en achetant ce livre– on se fait croire que le savoir va suivre.
On vous vend que vous allez « comprendre » les mécanismes de la bourse. Fera-t-il automatiquement de vous un bon investisseur? « Devenir riche », est-ce une connaissance que l’on peut enseigner? Il ne s’agit pas ici de savoir comment planter un clou. Il s’agit d’un état d’esprit.
Les bonnes compétences
La clef de l’apprentissage est la maîtrise efficace d’aptitudes d’apprenant. Ce qui n’est pas inclus dans le livre. La patience que demande la pratique qui fortifie les compétences ne relève pas de la magie, mais bien de l’endurance, du temps et d’une bonne connaissance du type d’apprenant que nous sommes (par exemple, visuel, auditif, déductif, linéaire, etc) et du type d’environnement formateur (solitaire, en groupe, en classe, en labo, etc.).
Alors, « Ne pas pouvoir tout apprendre » peut se comprendre de deux façons :
- il y a des savoirs qui dépassent vos compétences
- l’acquisition d’un savoir étant longue, vous êtes limité dans le nombre de savoirs que vous pouvez acquérir
La toile de tous les savoirs
Le web semble offrir le phantasme ultime dans ce domaine. Tout est virtuellement accessible (ou le deviendra). Remplissez del.icio.us, gonflez vos signets, abonnez-vous à tous les fils web, imprimez toutes les pages web que vous voulez, vous n’arriverez pourtant pas à retenir le dixième de ce que vous avez lu.
Pour apprendre, il faut se concentrer, prendre du temps. Et inéluctablement cela veut dire rejeter certaines connaissances et en retenir d’autres. Nul ne peut faire le grand écart et donc, à la fois, critiquer Kant, jouer à la bourse, programmer en Java et s’occuper d’un bonzaï. (ou alors si vous y réussissez, vous n’avez jamais lu Duras, ne parlez pas italien et ne savez pas piloter un avion).
Getting things learnt
Il est rare que l’on puisse plonger facilement dans un livre et en sortir expert. Ceux qui ont lu Getting Things Done, dont pourtant de grands pans de la théorie sont accessibles sur le web, comprennent de quoi je parle.
Il faut assimiler, digérer, pratiquer. Et pratiquer encore. Ainsi deviendrez-vous un bon gestionnaire de votre temps. Mais pas en même temps un bon jardinier de Bonzaï. Ni un « day trader ». Car le temps passé à bien appliquer vos nouvelles connaissances n’a pas été passé à faire autre chose.
Additionnez tout ce temps et vous verrez qu’une vie n’est pas assez pour apprendre l’ombre de la poussière du début de toute la Connaissance. Mais nul n’est tenu de tout savoir…
Bloguer pour apprendre
J’ai commencé à bloguer quand j’ai compris que tout ce que je savais était supérieur à ce tout ce que je pouvais exprimer oralement. Et que ce que j’exprime oralement est supérieur à tout ce que j’ai le temps d’écrire. Et que tout ce que j’écris est supérieur à tout ce qu’un lecteur peut lire. Et ce qu’il peut lire est inférieur à ce qu’il peut retenir. Et ce qu’il a retenu est inférieur à ce qu’il peut exprimer, ensuite, à d’autres.
J’ai ainsi compris qu’il ne fallait pas avoir peur de retransmettre ses savoirs. Que personne n’allait me déposséder de mes connaissances. Et que le meilleur qu’il pouvait m’arriver, c’est que cela engendre l’émulation et que moi en retour j’apprenne éventuellement quelque chose.
Et quand le niveau ambiant augmente, tout le monde y gagne.
Bravo et merci pour cette trilogie sur les mythes qu’une certaine publicité associe trop souvent à la connaissance.
Le plus grand apport d’Internet à l’humanité, selon moi, c’est de rendre la connaissance universellement accessible, c’est la démocratisation de la connaissance, en quelque sorte.
L’accès à la connaissance était le privilège de la minorité capable de se la payer; elle est dorénavant à la portée de tous ou presque — le ‘presque’ dépendant plus du pouvoir politique que de l’argent.
Reste à nous ajuster : c’est un peu comme si nous venions tous de gagner un million… de connaissances. Cela prendra du temps pour que nous apprenions à les gérer intelligemment, je le crains.
Pensons seulement au rôle de l’école dans ce contexte… L’école qui était le lieu par excellence de la transmission linéaire (magistrale) des connaissances des profs et des livres… Au rôle des médias traditionnels jusqu’à maintenant plutôt univoque…
Grâce à Internet, nous assistons au déclin d’un certain ‘fondamentalisme’ de la connaissance car nous pouvons maintenant comparer, confronter, apprécier l’information, bref, relativiser et humaniser la vérité (ce qui est à l’opposé du fondamentalisme dogmatique rassurant auquel nous avons été habitués).
Merci encore!
Merci pour cet article. Beaucoup de personnes rétissantes au partage devrait lire la réflexion de la fin…