« Le développement d’Internet et du numérique a décuplé la demande de personnel » pour le métier de bibliothécaire dans les écoles. Interviewé par le journal Le Devoir ce matin Jean-Michel Salaün utilise l’expression c’est un «boom extraordinaire» pour ce métier. (Le Devoir 2008-01-28 : Le retour des bibliothécaires dans les écoles ?)
« [P]our faire face à la pénurie et à d’éventuelles embauches, le ministère a demandé aux universités offrant des formations dans ce domaine de rouvrir des cours sur la bibliothéconomie en milieu scolaire » écrit la journaliste Caroline Montpetit.
Elle ajoute « Et si les enfants ont accès dès leur plus jeune âge aux informations circulant librement sur Internet, ils ont plus que jamais besoin d’aide pour y faire un tri et pour évaluer la pertinence des sources qu’ils consultent.«
Source Le Devoir
Je ne sais pas, pour ma part, si les jeunes savent qu’ils ont besoin d’aide, car l’offre des savoirs (ou plus prosaïquement, l’accès aux bases de données de documents numériques) laisse sous-entendre qu’ils peuvent se passer de tout filtre au prix d’une bien pardonnable approximation dans les résultats (compte tenu de l’effort investi).
Bibliothèque comme sélection aléatoire de la connaissance
Ces bibliothécaires à venir auront fort à faire, car, comme le disait Dominique Lahary récemment (conférence ABF, Paris, Nov 2008 Un métier hybride à la carte ? De l’idéologie professionnelle au recrutement, fichier PPT, 55 diapos) il ne faut plus transmettre la centralité de la collection, mais mettre en perspective, c’est-à-dire relativiser les standards de la centralité de la collection.
Et tout ça, dans un contexte où l’usager est complètement métamorphosé par rapport à la dernière décennie : Google et consorts ont désenclavé la recherche et simplifié grandement (les puristes diront perverti) la recherche documentaire.
Mutation de l’usager
Il faut certes enseigner des techniques documentaires génériques, mais les bibliothécaires seront-ils formés à accueillir des jeunes pour qui une interface de recherche se limite qu’à un champ (contre une pléthore cabalistique encore en place dans les universités), où l’on cherche avec ses propres mots (folksonomie flexible contre catégorisation savante hermétique) et partout à la fois (recherche par contenu et non par « vedettes matières » ou « catalogues » ou autres regroupements subjectifs).
L’affranchissement des jeunes face aux médiateurs (documentalistes, bibliothécaires, journalistes, outils, accès, etc.) qui filtraient l’information de qualité a provoqué le développement de nouvelles stratégies de recherche.
Déplacement de la barrière à l’entrée
L’accès à l’information n’est plus un problème, c’est la capacité de traitement de cette information qui est devenue la nouvelle barrière. Le jeune se place tout seul au centre de l’information avec toutes ses faiblesses. Il n’y a pour ainsi dire plus aucun tri « en amont » par des experts : l’info est filtrée « en aval » par les usagers.
Or, devoir filtrer seul une information reporte sur l’utilisateur la validation de l’information et alors chacun finit par développer son propre système de filtre : d’où un éventuel problème d’intersubjectivité pour communiquer les « vérités » (voir Umberto Eco, ici dans Zéro Seconde, août 2005 : Le problème du filtrage de l’information sur Internet, 581 mots).
Le titre de ce présent billet fait un clin d’oeil au « Ceci tuera cela » (679 mots) souvent cité par Eco comme exemple de frayeur des nouvelles technologies (auquel il n’adhère pas, d’ailleurs) (Lire Umberto Eco, sur themodernword.com, The Future of the Book, 4762 mots). Bien sûr, ceci ne tuera pas cela, mais il sera drôlement meurtri.
Expérience (sur)vécue
Moi-même, je subis ces mutations cognitives. Récemment, en allant à la Grande bibliothèque (BAnQ), pour trouver un livre sur un sujet en particulier, je me suis heurté à plusieurs reprises à des bibliothécaires avec lesquels nous n’avions plus aucune langue commune pour communiquer: je cherchais des livres sur l’architecture de l’information (requête Google) et on me répondait, hagard, un équivalent sur le web du code 404 (requête BAnQ).
Je cherchais, pourtant, c’est simple, un livre sur l’architecture de l’information. N’importe quel livre. Mais je ne savais pas dans quelle « vedette-matière » ni quelle description utiliser outre les mots « architecture », « information ». Compliqué?
N’ayant aucun mot en commun pour désigner nos savoirs respectifs (lui enfermé dans ses « catégories », moi avec mes « mots-clefs ») nous avons dû à tâtons, comme jadis Jacques Cartier parlant avec les Amérindiens, construire au vol un vocabulaire approximatif pour « structurer » mon besoin documentaire et lui une stratégie d’interrogation de sa base de données.
Inutile de dire que ce que nous avons trouvé à nous échanger équivalait, j’imagine avec la même déception que le chef Donnacona et Jacques Cartier, à faire du troc avec un bout de miroir et des bijoux de pacotille. Rien de valable, quoi. La recherche nous a laissé bredouille. Lui est retourné à son harassant travail de reclassement des bouquins dans les rayons et moi je suis revenu illico en ligne et à la place j’ai acheté sur Amazon.com.
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Blogs pertinents pour réfléchir davantage sur le thème
Affordance.info (Olivier Ertzscheid)
Bibliobsession 2.0
Bloc-Note (Jean-Michel Salaün)
Urfist Info
Dlog (Dominique Lahary)
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Photo Gald : la caverne aux livres
> L’accès à l’information n’est plus un problème, c’est la capacité de traitement de cette information qui est devenue la nouvelle barrière.
Disons que l’accès c’est nettement améliorer. Quand on connait des « raretés » on peut savoir si elles sont accessible ou non. La variété et le choix peut cacher d’autres auteurs/ouvrages non disponible en Amérique du Nord.
Bon Google c’est bien mais n’oublions pas la recherche par catégorie de l’ancien Yahoo et que semble utiliser les bibliothécaires.
Indique moi le résultat sur Google avec tes mots clefs pour un très ‘grand’ (talent) romancier français du XIX trouvé. A coup sur un bon libraire aura une réponse de meilleure qualité que la liste dans laquelle tu trouvera tout sauf le(s) bon(s). 😀
La grande bibliothèque semble avoir un large stock de livres. C’est dommage le temps que perde le personnel à ranger les livres consultés. Je les range moi-même sauf les livres empruntés.
Bon point, Paul, je préciserais alors que l’accès à « plus » d’information n’est plus un problème. Je m’explique.
Google (ou n’importe quel bon moteur) permet de répondre à des ‘questions » autrefois soit « non répondues » soit non « demandées », c’est à dire qu’aujourd’hui, on interroge les moteurs pcq on sait que l’on peut obtenir une réponse, ce qui n’était pas vrai auparavant pour « toutes » les questions. Précisons.
Faire une recherche sur un grand auteur correspond à une « recherche » et le travail est peut-être sensiblement identique aujourd’hui qu’hier. Mais avant, de « petites recherches » étaient mort-nées : Quelle est la circonférence de la Lune, comment cuire le lapin à la moutarde, que pense Martineau de xyz, quel est l’adresse du resto dans la Marais, où fait-il le plus froid, à quelle école Habermas appartient-il????
Des questions quotidiennes, futiles ou sérieuses, mais qui avant demandaient trop de recherche par rapport à son importance « relative » au contexte (je m’en fout de quel école appartient Habermas et comment faire cuire le lapin à la moutarde, si la recherche me demande 6 jours)
Il y a donc « recherche » et « interrogations » qu’il faut peut-être distinguer…
Effectivement la recherche se décompose en une interrogation (mots clés, catégorie, question à un libraire) et son ou ses résultats associés.
Sous Google, la qualité des résultats s’est amélioré et puis tout le monde n’a pas accès à un spécialiste humain. Alors pour le coût et le temps de réponse c’est très bien mais il peut y avoir beaucoup mieux en qualité et aussi en gain de temps (en évitant d’explorer plusieurs sites non pertinents).