Si toute personne avec un cellulaire peut instantanément « informer la planète » via un simple message texte: peut-on dire que le « journalisme citoyen » détrône sur deux fronts les médias traditionnels : rapidité et quantité? Les micro-messageries s’imposent comme un acteur de premier plan pour « écrire un premier jet de l’histoire qui se déroule » (« first draft of history« ).
Ce débordement est prévu depuis longtemps (lire mon billet de 2005, La blogosphère et les médias.) Et par ricochet, une nouvelle définition du « live » s’installe : un flux multimédia (image, sons, vidéos et textes, surtout des courts textes) et non plus simplement télévisuel.Comme si l’on voulait « du bruit, beaucoup de bruit, et du brut, que du brut ».
Avec une participation en prime (un genre de « P2P news »?).Je vous propose de poursuivre ma réflexion sur cette mutation de la chaîne de valeur de l’information afin d’identifier l’impact d’internet et des réseaux sociaux. Lire Écosysteme de l’information (1/3): Twitter Surge.
Une image vaut 140 caractères?
Dans un micro-message, qu’est-ce qui est transmis? De la connaissance, de l’information, du data? On a le droit de dire qu’un micro-message ne produit ni information ni analyse, comme j’ai cité hier Alain Joanne, sur Journalistiques.fr.Certains ont conclu de l’inefficacité des médias sociaux à couvrir l’actualité chaude, avec fermeté, comme Fred Cavazza.
Ils constatent que les messages dans les médias sociaux n’ont même pas la valeur de témoignages exclusifs et qu’ils sont d’une parfaite banalité, car les « journalistes »citoyens » n’ont pas accès aux lieux privilégiés d’observation, ni ne procurent le recul nécessaire à l’analyse.Je crois ce constat (a priori sensé) n’offre toutefois pas un portrait précis de la situation.
Information, information, est-ce que j’ai une gueule d’information?
Mais avant de poursuivre, entendons-nous sur ces trois définitions avant, afin de voir si nous comparons des pommes avec des pommes (voir schéma de Michel Cartier sur le cycle données-informations-connaissances).
- Données (data): représentations symboliques sans contexte
- Information : représentations mentales de données en contexte
- Connaissance : intégration des informations à des schémas mentaux préexistants
Si nous sommes d’accord que des données brutes sont sans contexte, les micro-messages ne peuvent être autre chose que des « données » , par manque évident de contexte…
Dans ce sens, Alain Joanne et Fred Cavazza n’ont pas tort. Mais alors ils ne disent rien de plus qu’une évidence. C’est pourtant prêter aux médias sociaux la prétention de la grenouille a vouloir devenir aussi grosse que le boeuf. Erreur de tir.
Les médias sociaux, et la micro-messagerie en particulier, même s’ils « démocratisent le scoop », ne cherchent pas à remplacer les médias traditionnels.
Journaliste crowdsourcé?
Pris individuellement, aucun micro-message n’est plus qu’un télégramme. C’est l’amoncellement de télégrammes qui remplit une fonction dans l’écosystème et qui finit parfois par donner du contexte.
«L’objectif, ici, n’est pas de produire une information low-cost sans journalistes, mais de travailler intelligemment dans le cadre d’une info en réseau. Produire une info plus pertinente par rapport aux attentes des lecteurs: hyper réactive, moins conventionnelle dans ses choix, plus “live”, plus libre, avec plus de ton, de conversation, beaucoup d’émotion.»(source Benoît Raphaël, LePost.fr)
Tirer sur la vacuité des médias sociaux c’est ne pas comprendre que « l’info en réseau est en effet aussi une info en fragments. » (Francis Pisani, Le Monde).
Le contexte n’est pas donné par un seul message, mais le par le flux de messages. Une erreur (rumeur, fausseté) est rapidement corrigée par une autre avalanche de messages (lire un cas durant l’attentat de Bombay).Comme une fragile fourmi est ridicule sans sa colonie. C’est la somme colossale de micro-messages qui ouvre un nouvelle façon de voir le flux de nouvelles, de donner du contexte et de créer les premiers jets de l’histoire en cours. Histoire qui est ensuite réécrite, enluminée, solidifiée ensuite par les médias traditionnels, dans cette chaîne qui est en mutation (et non en concurrence)
First hand generated
Ce qu’il faut comprendre, c’est que les médias sociaux, via la micro-messagerie, sont aux premières loges pour faire démarrer le processus du regard tourné vers un événement-en-devenir, mais qu’il n’apporte pas sa propre véracité (chaque message n’apporte pas sa validité –mais est souvent confirmée par le nombre– contrairement aux institutions journalistiques dont on attend qu’ils aient validé l’info avant diffusion).
L’analyse et l’information, donc, n’arrivent pas par Twitter. Les micro-messages ne sont que les pointeurs tangibles vers des actes/faits/segments de la réalité. Ils pointent aussi vers les informations et les analyses. Il contre-balance (ou confirme) la récolte de données du journaliste, l’aide (ou lui nuit) dans sa démarche.
Ils placent, au coeur du chaos, sur des noeuds attracteurs, des individus, journalistes ou autres, en situation de donner du contexte à ce qui se passe, tout en permettant au lecteur, enfin, de retracer l’origine des détails qui l’ont conduit à mettre en contexte et ultérieurement offrir une analyse.
Information broker
On croyait l’intermédiaire disparu avec la venue d’internet, il est au contraire bien là, mais revenu plus pertinent qu’avant et possède un rôle différent: il est devenu un « Information broker ».
Paul Cauchon constatait hier dans le Le Devoir cette pression qu’ont les médias de « partager leur espace avec le citoyen » pour créer une « valeur ajoutée ». Car il semble que le « lecteur veut pouvoir participer au média qu’il consomme« .
D’où un constat qu’il fait : « les journalistes seraient donc devenus des sortes de passeurs, de dialoguistes« .
C’est de que j’appelle « information broker ». Oui, mais dans le cas des journalistes, je leur réserve davantage de pouvoir: celui de donner du contexte. Ce dont je vais parler la prochaine fois.
Mais avant, il faut comprendre la mutation qui s’empare du lecteur pris dans une surabondance de l’information, lui qui a besoin de nouvelles stratégies d’acquisitions de l’information. Ce sera le sujet de mon prochain billet plus tard cette semaine: Ecosysteme de l’information (3/5) : Info broker
[Lire Écosysteme de l’information (1/3): Twitter Surge, pour la première partie de la série]
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Billets sur mon carnet:
Blogueurs/journalistes: même combat
La société des chroniqueurs
Qui croire quand informations et connaissances circulent librement ?
La blogosphère et les médias
Se penser comme un filtre
Je crois que Fred est un peu à côté d’la track, comme on dit. Il ne prend pas en compte les cas de journaliste citoyen où celui-ci a accès à des lieux privilégiés ou encore est témoin d’un contexte jusqu’alors inconnu (une situation, une association, etc.) qu’il partage et fait connaître au monde; alors là, oui, le journaliste citoyen a autant de poids que le journaliste pro.
Vraiment intéressant, Martin. Ceci dit, je ne suis pas d’accord avec toi, je pense que lors d’un événement si nous avions les bons outils, nous pourrions extirper, par aggrégation et accumulation, tant les données que le contexte et les connaissances des réseaux (médias) sociaux. À mon avis, tout cela s’accumule au fur et à mesure du déroulement de l’événement et de l’accumulation des messages. Bien sûr, les journalistes pofessionnels ne pullulent pas sur les médias sociax mais ils s’y trouvent aussi des gens qui ont une bonne capacité de réflexion et d’analyse.
Denis, mon prochain billet ou le suivant élaborera sur cette notion d’extirpation de « contexte ».
Je suis d’accord que l’agrégation et l’accumulation fait émerger quelque chose de plus, mais mon point reste que la source, isolée, n’est que du data.
L’information, étant du data en contexte, une accumulation de source donnerait alors du contexte, oui.
Mais la connaissance qui en émerge ne peut que venir des gens.
Je vais essayer de parler, dès que j’ai le temps, de ces nouvelles stratégies pour générer de la réflexion et et des analyse.
Je crois qu’il faut juste éviter de dire que l’accumulation, en soi, c’est à dire une base de données bien remplie, suffit pour dire qu’il y a de « l’information » et encore moins des ‘connaissances »…
OK Je vais tenter d’expliquer ma théorie en détail. D’abord, un petit point à préciser sur la plan de la nomenclature; connaître, en termes épistémique, c’est la capacité de se représenter le monde, c’est-à-dire, d’établir des relations conceptuelles et structurelles entre des objets et des actions du monde. Ma théorie est la suivante, dans les médias sociaux, un événement obéit à la loi de distribution de la « Longue Queue ». Au début, ce ne sont que des données brutes qui sont publiées, puis viennent les informations et finalement, avec le temps, les premiers témoins ont pu réfléchir, analyser, s’objectiver et là, ils sont capables de construire des connaissances autour de cet événement. Voilà, je crois que c’est à peu près cela que je veux dire. Ainsi, je pense que si nous avions les bons outils de monitoring et de « mining » des médias sociaux; éventuellement, nous saurions en tirer des connaissances comme nous sommes capables d’en tirer, d’en extirper des publications de gens comme toi, comme Michelle Blanc et autres acteurs de scène des médias sociaux.
Je pense qu’avec les bons outils; nous pourrions voir se construire et aussi décrire, au fil du temps, deux fonctions de publication quant à un événement donné : une fonction logarithmique (longue queue) relative à la quantité et une fonction exponentielle relative à la qualité des publications. OUF !!!
Denis, ce type d’outil semble passionnant. Ça ressemble au soi-disant « Web 3.0 » (le web sémantique).
J’avoue avoir commencé à désespérer de voir ces outils apparaître –et être réellement faisables.
Par contre, ce que je remarque, c’est qu’actuellement le « web 2.0 » fait un travail similaire en donnant du sens à ce qui se trouve sur le web (la théorie du « the web is us », une machine dont l’intelligence provient de milliers de petites fourmis comme nous).
Je me suis intéressé à l’intelligence artificiel (en dillettante) mais je crois qu’il y a des limites au réductionnisme (voir un billet que j’ai pondu en 2004).
Actuellement, je suis plus fasciné par le pouvoir de cette « longue traîne » organique des médias sociaux…
Très intéressant tout cela, il faudrait se boire un pot un de ces quatre et se raconter cela plus en détails, non ? Au prochain Yulbiz ou simplement sur un coup de… mail !!
Martin, pour aider à ta réflexion des deux derniers billets, je te suggère le lire mes billets sur la micro-couverture des évènements de Mumbai où j’ai passé 50 heures à scooper les médias trad. et en particulier mon dernier billet de débreffage : http://emergenceweb.com/blog/?p=774
Bien sûr, Claude, je les ais lus; j’y fais référence dans le billet précédent et je vais y revenir dans les prochains billets.