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Les ambassades numériques

« Que valent finalement les quelque 8350 articles sur le Québec de Wikipédia (…)? » lance Stéphane Baillargeon dans le Devoir d’hier. « Des pistes, pas des références ». Réfléchissons sur l’implication de la Francophonie dans ce savoir qui s’écrit en ligne .

WikipediaDans 4 courts articles publiés samedi dernier, Baillargeon réussit à bien survoler les contours et les enjeux de l’encyclopédie, ouvert aux contributions du monde entier, dans le cadre d’une petite nation.
Wikibec et Quépédia
Une production tout-tout-tout (verrouillé)
Des chicanes dans ma cabane (verrouillé)
La pire des options?

8350 articles, 1 peuple

Bien sûr, Wikipédia se fait taper sur les doigts pour toutes ses imprécisions encyclopédiques à propos de ce pays trop incapable de se mettre en scène, même sur le réseau (« à peine 7% des rédacteurs de tous les textes en français proviennent du Québec ») : « Il faudra aussi rehausser la qualité des articles [sur le Québec] » fait-il dire à Sébastien Savard, un administrateur québécois du Wikipédia francophone.

Sources ouvertes
Un bon point soulevé : alors que les archives nationales allemandes ont fourni récemment 100 000 images de l’histoire de l’Allemagne et que le gouvernement américain met automatiquement libre de droit tout ce qu’il produit, « les fonds d’archives québécois ne facilitent pas la reproduction d’image ».

Critique critique
Baillargeon souligne bien d’autres enjeux (notamment, le refoulement des régionalismes même sur des sujets régionaux, ou encore l’effet rouleau compresseur de Wikipédia sur les autres encyclopédies savantes). Il conserve tout son sens critique face à ce phénomène, même si ça revient, d’une certaine manière, à répéter que Wikipedia ne peut être crédible pcq on a trouvé telles ou telles fautes…

Comme le dit si bien Fagtstein après la lecture du dossier du Devoir, Wikipedia n’a jamais réclamé être crédible, « It doesn’t want to be trusted« , il demande seulement au visiteur de « vérifier les faits, chaque fait, dans chaque article » et de les corriger. C’est là un changement de paradigme complet qu’il est important de souligner quand on parle du phénomène.

Média du savoir
Stéphane Baillargeon interviewe d’ailleurs Jean-Michel Salaün, Directeur de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, qui a toujours le don de bien résumer les situations :

« Une encyclopédie jusqu’à maintenant servait à fixer le savoir. Wikipédia semble avoir complètement renversé ce raisonnement avec sa construction continuelle du savoir, plus près du média que de l’encyclopédie traditionnelle ».

« D’un point de vue commercial, c’est une destruction de valeur. Du point de vue du savoir, c’est le contraire… ». (source: Une production tout-tout-tout -Le Devoir, verrouillé)

La société des savants
Cette série d’articles fait, à mon avis, suite au billet incendiaire de Christian Rioux sur la société des blogues, dont j’ai commenté à plusieurs reprises sur ce carnet certaines exagérations, où il disait tout le bien qu’il pense de la montée de monsieur tout le monde dans la participation au spectacle du monde (voir aussi la controverse actuelle avec Facebook et l’enseignement).

Mes précédents billets sur ce sujet :
La pêche aux idées
Les prénumeriques
Pour en finir avec les natifs versus les immigrants digitaux

Je reviens sur lui ici notamment pour le passage où il vilipendait Mark Prensky qui suggère aux professeurs de proposer à leurs élèves d’écrire des articles sur Wikipédia, « une encyclopédie sans comité scientifique, bourrée d’approximations et d’erreurs».

Le savoir en mouvement
« Si, grâce aux idéologues d’Internet, le premier élève peut se prendre pour d’Alembert ou Diderot, il n’est pas besoin de chercher longtemps les causes du décrochage scolaire. » (source: société des blogues -Le Devoir)
Dans la pensée prénumérique, le savoir s’arrête quand on publie. Mais si on voit le texte pondu comme étant un point de départ, on change de perspective! Les d’Alembert en herbe ne font que démarrer l’exercice et les lecteurs comblent les manques.

Mais ici encore, il s’agit de s’assurer d’avoir une masse critique : une crainte toute légitime est de voir ces « futurs décrocheurs » prendre toute la place. Christian Rioux n’exprimait que cette crainte.

Quantité= qualité en percolation
Si on s’accorde pour dire que la quantité de modifications d’un article garantit un tant soit peu sa qualité, il faut une masse critique de visiteurs pour polir les articles de Wikipédia.

Les articles concernant l’histoire des petits peuples, surtout s’ils ne participent pas en nombre au réseau, soit par le manque de ressource, soit par manque d’intérêt sont réduits à laisser les autres réécrire leur histoire.

Ces petits peuples doivent alors trouver une autre façon de prendre leur place.

En termes plus clairs et directs, si le Québec n’a pas la masse critique de gens à partir duquel un faible pourcentage d’érudits se dévoue à être bénévole pour ce savoir qui s’écrit en ligne, il doit prendre d’autres moyens pour y arriver.

Comprenez-moi bien, il n’y a pas de mal à être un peuple pas assez nombreux pour réussir à s’inscrire dans les réseaux participatifs qu’offre le web 2.0 (à quoi sert un réseau social virtuel, quand les peuples sont, en soi, par leur proximité, déjà un meilleur réseau social dans la réalité?).

Mais laisser L’encyclopédie de l’Agora et les institutions gouvernementales ou non gouvernementales sans les moyens d’y participer n’est pas une bonne stratégie.

In .gov we trust
Je dois avouer que je me fie moins à Wikipédia francophone pour des sujets concernant notre culture francophone à cause de cette masse critique manquante et je me fie davantage à Wikipédia anglophone, pour cette même masse critique présente, pour des sujets mondiaux, larges ou scientifiques.

Mais rien n’empêche la Francophonie de cesser de vouloir jouer les règles d’un jeu foncièrement inégal par définition (il y aura toujours moins de francophones que d’anglophones) et de commencer à supporter directement les organismes ou les gens qui cherchent à s’impliquer…

À quand nos ambassadeurs numériques?…

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

7 thoughts on “Les ambassades numériques

  1. Bonjour Martin,

    D’accord avec ton analyse, mais j’ajouterai un point : les «petits peuples» ont beaucoup plus à gagner à la visibilité sur la toile car elle leur donne une publicité qu’ils n’auraient jamais les moyens d’obtenir tout seul.

    Autrement dit l’histoire de France ou celle de l’Allemagne n’a pas besoin de Wikipédia pour être connue, celle du Québec, oui. Et il y a des chances que ce soit la seule source pour beaucoup.

    Le défi est alors d’être plus proactifs quand on est moins nombreux et surtout d’avoir quelque chose à dire qui parle au reste du monde.

  2. Très bonne idée, Martin.
    Sans ajouter des dépenses, il suffirait par exemple de demander aux profs et aux étudiants de consacrer 1% (ou autre chiffre raisonnable) de leur temps à « contribuer au savoir collectif » (Agora, Wikipedia en français, autres) et on passe en quelques mois de dernier à premier de la classe. Faudrait demander à Mario.
    http://carnets.opossum.ca/mario/

  3. Bien noté Bruno…

    Le travail est déjà commencé d’ailleurs puisqu’à chacune de mes interventions je raconte que l’engagement dans Wikipédia est un des premiers à considérer sur La Toile.

    Un bémol par contre; WP s’est construit sans le scolaire et la communauté demeure assez rétive à la venue en masse des étudiants. J’ai vécu plusieurs cas où les étudiants étaient plutôt mal reçus, soit parce qu’ils ne comprennent pas assez vite les us et coutumes de «la maison» ou parce qu’ils jaugent moins bien le principe de neutralité. Un gars comme Patrice Létourneau a fait beaucoup au Québec pour créer des ponts et on est quelques-uns à travailler dans le sens d’une utilisation plus large et soutenue de WP en tant qu’instrument pour apprendre.

    Faut pas lâcher…

    Excellent billet Martin, en passant; comme toujours d’ailleurs!

  4. Je suis d’accord avec le bémol de Mario, tout particulièrement en ce qui a trait au besoin de bien jauger l’idéal de neutralité (d’ailleurs, bien le jauger n’est pas quelque chose d’automatiquement évident pour tous, puisque certains peuvent l’associer à tort à un bête «relativisme», alors que d’autres peuvent confondre la «neutralité» avec une réduction qu’à «l’objectivité» au sens scientifique du terme). Ceci implique donc que les profs faisant participer leurs étudiants à Wikipédia doivent leur offrir un bon encadrement et les aider à apprendre à bien jauger l’idéal de neutralité de WP (à mon avis, un bon exemple de ce genre d’encadrement est le travail de Jean-Noël Lafargue, de l’Université Paris 8 – avec le «Projet P8»). À cela, il y a cependant un autre bémol à ajouter : une telle démarche, ce n’est pas nécessairement possible dans tous les cours. Par exemple, lorsque l’épreuve-synthèse associée aux compétences du cours a la forme tantôt d’une «dissertation argumentative», tantôt d’une «dissertation comparative», tantôt d’une «dissertation applicative», il est difficile de trouver le temps adéquat dans un cours (qui peut n’être que de 45h.) pour, en parallèle, faire travailler les étudiants sur une rédaction encyclopédique – et que le tout «fasse sens».

    Mais ces bémols étant apportés, ça reste effectivement important de continuer de «travailler dans le sens d’une utilisation plus large et soutenue de WP en tant qu’instrument pour apprendre.» D’ailleurs, j’ajouterais que par-delà «le contenu» proprement dit des articles, il y a quelque chose de très formateur à travailler en devant composer avec cet idéal de neutralité, qui plus est dans un contexte où il faut aussi pouvoir citer de manière équilibrée les sources pertinentes de part et d’autre lorsqu’il y a lieu – ce qui, à mon sens, peut aussi contribuer à élargir les horizons de pensée de chacun.

    Enfin, simplement en passant afin de faire connaître «les bons coups», je me permets de mentionner qu’après avoir lu certains commentaires intéressants (1, 2) à la suite desdits articles du Devoir, j’ai découvert hier qu’un professeur du Cégep de Chicoutimi accompagne ses étudiants sur WP, dans le cadre d’un cours.

  5. « Si on s’accorde pour dire que la quantité de modifications d’un article garantit un tant soit peu sa qualité. »

    ça garantit rien du tout sur la qualité et l’exactitude.

    Paul

  6. Paul,
    Avec un site qui s’appelle EspritLogique et te connaissant je suis bien en peine de te confronter sur ce terrain glissant 😉

    Mais si on retire le côté absolu du mot garanti et accepte que la vérité peut aussi être en v minuscule on peut dire –ce qui s’appelle le constructivisme je crois– que si tous croit une chose il devient vrai (minuscule). Et ce vrai n’est pas le vrai de la science, où au contraire on dit : si tous croit une chose, il ne devient pas vrai pour autant.

    La garantie dont je parle est cette assurance constructivisme qu’un ignorant seul n’est pas passé mais qu’un groupe a poli un article. Ou même que le passage de plusieurs gens me garantit que les traces d’un vandale ne restent pas longtemps affichés.

    je m’attends bien sûr à ce que tu me tireS les oreilles au prochain YulBiz pour propager le relativisme 😉

  7. Madoff a bien su utiliser ton v.

    Martin,
    Mea Culpa, je n’ai pas assez développé mon idée mais j’ai une excuse l’interface de blogger.

    Dans wikipedia, c’est le dernier correcteur qui a ‘raison’ avec l’accord de l’administrateur.

    Un truc pour te sortir de l’embarras, utilises « probablement » ou « d’après des statistiques » et je te laisse en paix. 😉

    Pour le Yulbiz, j’y viendrai à chaque édition sans mes contraintes actuelles. Je suis jaloux du succès que tu as avec ces jolies journalistes qui s’agglutinent à toi soi-disant pour t’interviewer. Et moi !?! 😀

    Paul

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