Le modèle d’affaires des journaux va mal, on cherche des boucs-émissaires. Il n’est pas mis à mal par la blogosphère, sauf en croire quelques nostalgiques, mais par de puissants acteurs (hors de tout soupçon, comme Google, qui n’est pas si innocent) qui réussissent à valoriser à leur profit le contenu en ligne. Pourtant, des journalistes relancent encore le débat contre la blogosphère. L’abcès n’est pas crevé. Jouons donc avec le bobo.
Ce qui me donne l’occasion de préciser ces quelques notions ce soir, c’est le coup de gueule la semaine dernière d’un journaliste –cri du coeur sympathique, mais trop épidermique pour être d’une quelconque utilité dans la conversation sur le sujet qui est plutôt dernière nous depuis plusieurs années (« blogosphère versus journalisme« ).
Ce journaliste s’en est pris la semaine dernière à « tous ces nouveaux gourous patentés du web » qui « dansent déjà sur la tombe des quotidiens« .
On peut évidemment s’attendre à une montée des boucliers…
Confrontation
Steve Proulx, chroniqueur dans un hebdo, commence par lui faire remarquer son périlleux lien qu’il fait entre « journalisme de qualité » et « journaliste qui travaille dans un journal ». (source)
Mettons-nous d’accord: les journaux, pris globalement, n’offrent qu’un faible niveau de qualité journalistique… en moyenne. Oui, oui. J’inclus, moi, les journaux jaunes, de quartier ou commerciaux, comme on inclut skyblogue et myspace dans tout décompte du « web »… en moyenne.
Dénigrement
Michelle Sullivan, relationniste publique, dénonce la facilité de prôner le rôle primordial du journaliste professionnel en dénigrant le travail des blogueurs. Elle rappelle que des blogueurs peuvent « éplucher des demandes d’accès à l’information, entretenir des réseaux de contacts (…), assister à des réunions de citoyens, questionner les élus sur leurs agissements ». (source)
La blogosphère est une entreprise collective de 20 millions de rédacteurs, de reporters, de chroniqueurs, de critiques et d’éditorialistes, qui travaillent bénévolement. Une certaine concurrence s’installe. Même si tous les aspects ne se recoupent pas. (Lire La blogosphère et les médias où je souligne l’interdépendance des sphères).
r/évolution
Que la fin pour la plupart des journaux soit proche, peut-être. Que certains journaux tels qu’on les connaît vont disparaître, sûrement. Lire À qui profite l’industrie des journaux où je résume le propos, plutôt radical, de Clay Shirky, qui se résume par le sous-titre du blogue Axon Post: « Notre société n’a pas besoin de journaux, elle a besoin de journalisme ». Pisani l’a aussi abordé avant-hier.
Dans un billet de l’éditeur en chef du Axon Pos (Les blogs sont la forme parfaite de la démocratie, mais ils sont aussi le paroxysme du populisme), Pierre Fraser , propose de remettre dans une perspective historique le coup de gueule de notre journaliste nostalgique et conclut que le « journalisme se cherche de nouveaux contenants« . Le journalisme pratiqué « par une certaine élite » arrive à son terme…
Source du mal
Internet a engendré la crise des médias: c’est faux, c’est un mythe urbain, a déjà écrit Fraser ( via Mario Asselin). Quel est la source des problèmes causé à cette industrie? Ça, ça demande un peu plus qu’un coup de gueule, effectivement.
Jeff Mignon, stratège média, écrivait récemment sur mon blog:
1- La cause des problèmes? Baisse de la diffusion, baisse des revenus pub. Ces tendances qui ont quarante ans. Internet n’a qu’accéléré le phénomène.
2- Bien des journaux sont en bonne santé. Une minorité souffre. Mais une majorité reste encore très rentable.
3- Le métier des journaux n’est pas seulement de diffuser de l’information, mais aussi de la pub. En particulier en Amérique du Nord, des journaux ont d’abord été créés pour diffuser de la pub.
4- Si le modèle d’affaires pub en prend un coup, ce n’est pas parce que le modèle (faire payer les annonceurs) est mauvais, c’est parce que la rareté de l’espace publicitaire vol en éclat avec le numérique.
5- Ils n’ont plus, non plus, le monopole de l’audience locale.
Jeff propose le meilleur suivi professionnel et financier de la situation en ce moment sur son site (en anglais).
Source multiple
Cette perte d’un momentum se retrouve aussi en filigrane dans le livre « De la démocratie numérique »:
« De source unique, le journaliste, en ligne, se retrouve en concurrence permanente. Son contenu est apposé, mis à disposition des internautes à côté de milliers d’autres. On n’y accède pas uniquement à travers la Une de son média, mais par les liens de blogs, de sites multiples, par des moteurs de recherche et des e-mails envoyés. » (source Nicolas Vanbremeersch, Extrait de De la Démocratie Numérique, Le Seuil, 2009)
Vanbremeersch (connu surtout sous Versac) affirme que le web offre une confrontation entre une logique sociale et d’une logique de l’information.
Le présent épisode local rappelle la polémique autour des BlogueurZinfluents qui a sévi l’an passé dans l’Hexagone et qui mettait justement Nicolas sur la trajectoire de la tornade (voir mon compte rendu)
Origine d’une mésentente
Je crois que les journalistes possèdent une mauvaise opinion du web participatif pour la simple et bonne raison que toute tentative de « conversation » (quand il y en an une) tourne souvent au drame : leur blogue se trouve souvent assaillis par un essaim de commentateurs qui jactent de la façon la moins pertinente qui soit au point de ressembler à un forum de trolls et de brûlots…
Par leur popularité et le pouvoir qui leur est conféré par leur notoriété, les journalistes attirent certains frustrés/jaloux de leur audience, et certains débiles qui pensent que réfléchir consiste à aligner deux trois phrases à chaud…
Ils ne connaîtront jamais le démarrage dans les réseaux sociaux sous le couvert de l’anonymat et la joie de rejoindre sainement une audience que grâce à la qualité de leur contenu.
Réchauffement des esprits
Une nouvelle écologie des médias continue de se mettre en place (voir mes trois billets à ce sujet). Et la mise en place ne se fait pas sans douleur.
« If General Motors goes under, there will still be cars. And if the New York Times disappears, there will still be news » écrivait Michael Kinsley dans le Washington Post aujourd’hui (Life After Newspaper) (via Dumais, via Asselin)
Les nouvelles sont éternelles. Elles ne sont juste plus écrites dans le ciel…
POST-SCRIPTUM : Aujourd’hui, mardi 7 avril 2009. Écoutez Eric Schmidt, CEO, Google, en live à 13h00 (NewYork) / 19h00 (Paris) qui parlera à la presse US sur le rôle de Google dans le future de l’industrie !
PS2: 8 avril: La leçon de Google aux journaux américains (Libe.fr) Compte rendu du livecast d’hier
Salut Martin,
Je devais commenter un article interessant d’un analyste financier
G20 : Le déclin de l’occident
http://www.gestionsuisse.com/ArticleDetail.asp?id=561
Je pense que je vais y ajouter un extrait de ton article pour mettre ce débat-ci en perspective avec la situation économique plus générale. Le nombrilisme des média de masse me fatigue un peu. ils profitent bien de leur porte voix. C’est compréhensible.
Paul, tu peux reprendre ce que tu veux.
Le nombrilisme des médias de masse n’est pas également répartie. Il me semble qu’il y a belle lurette que le New York Times à embrasser le débat plutôt que de s’y opposer bêtement.
C’est le manque flagrant de recul qui est énervant de la part de certains journalistes. Etre sur la défensive ne me semble pas être un comportement auquel je m’attends d’eux…
Ce que Fraser dans son billet dit est intéressant «Le journalisme doit être pratiqué par une certaine élite dont le rôle est de révéler à un lectorat passif face à l’actualité les coulisses et les mécanismes des événements.»
Il cite Lippman… au début du siècle dernier.
À une certaine époque, les forgerons se plaignaient de l’arrivée des automobiles. Normal, il n’y aurait plus de chevals à ferrer. En plus, le transport de marchandises leur faisant concurrence serait facilité. Certains se sont plutôt dit qu’il y avait là une belle occasion de se rendre indispensables en réparant les automobiles. Ils sont effectivement devenus les premiers garagistes.
Quand Michelle Sullivan écrit «des blogueurs peuvent « éplucher des demandes d’accès à l’information, entretenir des réseaux de contacts (…), assister à des réunions de citoyens, questionner les élus sur leurs agissements »», elle a raison, mais si peu le font. En revanche, un bon journaliste ça sert à cela. Il faut juste qu’elles et ils trouvent comment se rendre utiles dans un bouleversement technologique et social qui comporte des menaces sérieuses, mais aussi de belles opportunités.
Les automobiles ne sont pas disparues parce que les forgerons ne les aimaient pas…