Nous sommes en 40 après internet; toute la Culture est occupée par le web… Toute ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles Télévisions résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la vie n’est pas facile pour les garnisons de téléphiles cathodiques des camps retranchés de Radio-Canada, France Télévisions, RTBF, RTS, Télé-Québec et TV5…
J’ai eu le privilège de donner une conférence sur la «Télé2.0» qui a servi de point de départ aux Journées de la CTF, la Communauté des Télévisions (publiques) Francophones lundi dernier à Québec.
La télévision, depuis plus d’un demi-siècle, est au centre de la culture populaire partout en Occident. Or, l’arrivée d’Internet dans le paysage audiovisuel change la donne, comme elle l’a fait pour l’industrie de la musique et comme elle le fait pour l’industrie de la presse écrite.
La culture web façonne nos habitudes, crée de nouvelles demandes et bouleverse les acteurs de tout l’écosystème audiovisuel pour mettre en place un nouveau terrain de jeu dont il faut apprendre les nouvelles règles.
Comment faire de la télévision en 2010 avec une atomisation de l’attention et une audience mutante qui multiplie les tâches et les écrans et qui crée elle-même une longue traîne de contenu inédit qu’elle consomme distraitement, mais massivement?
Le filtre social est devenu le nouveau syntonisateur de contenu.
La surabondance des canaux ne peut que renforcer l’agrégation et le filtrage a posteriori.
Comment faire, effectivement, pour savoir ce qui est bon et souhaitable d’écouter? Quand notre réseau laisse percoler la qualité, distillé par de multiples «retweets» et de «FaceBook j’aime», elle nous indique, comme un guide horaire social, ce qui «fait sens» dans notre communauté.
Oui, on vit la fin de l’hégémonie de la télévision comme puissant vecteur de la culture populaire et de la culture démocratique.
Sous les RT, la plage horaire?
La «web télé sociale», c’est la rencontre du «temps réel» et du direct. C’est le capital social comme pôle magnétique (comme «aimant à pupilles»).
La télé comprend que l’affranchissement de ses téléspectateurs, devenu «utilisateurs» sous les coups répétés des têtes de béliers du multimédia, passe par un transfert de pouvoir. Car ce n’est pas une question de savoir si Internet va modifier la télévision. C’est plutôt comment et à quelle vitesse.
Le contenu généré par les utilisateurs? Les utilisateurs «perdent» leur temps à écouter ces contenus? Non, ils «occupent» leur temps à produire ces contenus. C’est la «télé à moments perdus», cette télé nomade qui occupe les trous dans notre horaire, sur la route, ou entre deux appels. Une opportunité pour la télé si elle sait lâcher une partie de son contrôle. Mais ce n’est pas nécessairement leur rôle ni l’avenir.
Le temps cerveau? «Nos émissions ont pour vocation (…) de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages» Patrick Le Lay, PDG de TF1 (2004). Oui. Mais pas entre deux messages. Entre deux activités. Un défi pour la télé car si on ne peut concurrencer directement Youtube, le terrain de combat est le même : le temps cerveau. Le temps tout court.
La nouvelle barrière est la capacité limitée de réception. Ce n’est pas une barrière technique, mais bien humaine. Le filtrage social est devenu une stratégie essentielle pour se retrouver dans la surabondance de contenu.
Voir au loin
Télévision veut dire «voir au loin». Alors quand elle regarde devant, que voit la télé?
Que l’heure de pointe est perpétuelle et distribuée à travers la société et toute la journée. Que ce qui se joue se passe dans les interstices de sa pratique.
Alors, elle regarde sur ses côtés: elle voit les nouveaux joueurs. Des amateurs qui font que YouTube, 5 ans après son ouverture, a 2 milliards de visionnements par jour. Des industriels qui refont la télévision: Google, Intel et Sony proposent Google TV [MàJ: lancement annoncé aujourd’hui pour l’automne 2010]qui vous apportera le web dans votre salon.
Elle se regarde de l’intérieur et voit sa culture institutionnelle qui l’alourdit, ses chaînes de droits qui le ralentit, sa complexité qui le handicape. Face à ce mutant multiforme qu’est le web, où la notion même d’auteur, de scénario, de production est complètement redéfinie, sinon absente, elle voit son poids devenir un frein à l’innovation, alors que la seconde d’avant, c’était son avantage…
Elle regarde surtout dans son angle mort — à ce jeu, sur l’autoroute de l’information comme dans la vraie vie, on sait que la survie c’est d’être vu. Être vu ou périr.
Très bon billet, j’aime beaucoup le concept de guide horaire social, qui montre très bien comment la soit-disant « qualité » d’un contenu est jugé par ses rt ou les boutons « j’aime », parceque comme pour la télévision, les succès (économiques) de contenus sur Internet restent dépendants d’une certaine audience…
« Comment faire, effectivement, pour savoir ce qui est bon et souhaitable d’écouter? «
S’appuyer sur sa communauté web pour choisir son programme, regarder un programme « ensemble », Internet ne bouleverse pas, je pense, la télé, mais donne une nouvelle dimension à son expérience.
Mon site de Télé Sociale (pour la France pour le démarrage) : http://devantlatele.com/
Vision que tu avais prédite il y a déjà près de 8 ans… et qui se matérialise aujourd’hui par cette nouvelle de la BBC, si adulée du domaine de la production télévisuelle, qui doit se métamorphoser aux pouvoirs du consommacteur.
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2010/10/19/97002-20101019FILWWW00603-la-bbc-touchee-par-le-plan-d-austerite.php
Merci Mélanie, Je m’empresse de reproduire le texte du Figaro, de peur qu’ils enlèvent la page un jour:
«La BBC annonce aujourd’hui sur son site internet qu’elle n’échappera pas au programme d’austérité britannique, avec un gel de la redevance pendant six ans et l’arrêt du financement du World Service par le ministère des Affaires étrangères.
La licence va rester gelée à 145,5 livres (166 euros) pendant les six années à venir. En outre, la « Beeb » devra assumer le coût du World Service, actuellement financé par le Foreign Office ainsi que de la télévision en gallois S4C.
Les mesures précises seront connues mercredi lorsque le ministre des Finances annoncera officiellelement le détail des coupes budgétaires destinées à ramener le déficit public de 10,1% du PIB à 1,1% à la fin de la législature en 2015.
Les efforts imposés à la BBC se traduiront par une baisse de 16% de son budget pendant six ans en termes réels (compte tenu de l’inflation) contre 25% pendant 4 ans si elle avait dû reprendre le coût de la gratuité pour les plus âgés, selon le site internet.»
Source