Ainsi donc, Watson a gagné. Au jeu télévisé « Jeopardy », la machine a gagné contre les 2 meilleurs participants aux questions de savoir général posé par l’animateur. Les cerveaux électroniques montrent une fois de plus leur supériorité. Vraiment?
Rendons à IBM ce qui appartient à IBM: ils ont réussi en une quinzaine d’années à donner deux camouflets à l’intelligence humaine. Premièrement en rendant Deep Blue maître des échecs en 1997, ils ont retiré la rationalité combinatoire du monopole humain. L’homme comme être exclusivement capable de faire des choix stratégiques venait de mordre la poussière. Et aujourd’hui, deuxième défaite, l’homme qui «sait tout» est renvoyé avec un bonnet d’âne.
La première «vexation» a refroidi le mythe des experts en échecs comme homme intelligent. Regardez les vieux films du XXe siècle et la façon qu’ils ont de «déifié» le bon joueur d’échecs.
La nouvelle «vexation» donnera raison aux tenants de la pédagogie par compétences et non par connaissance. Probablement que d’autres ajustements s’installeront dans la culture pour «guérir» notre «blessure narcissique». Les génies en herbe de ce monde ne seraient donc que des OS organiques bientôt dépassés par le iPad ou… Android.
Je crois qu’il faut se réjouir de voir ces machines étendre l’intelligence de l’humain, tout en acceptant que ce que nous pensions être une exclusivité soit maintenant partagé avec la force brute de la computation informatique. Mais cette «intelligence» a plus à voir avec le dénommé Q.I. –qui aura bientôt bien du mal à rester un barème de mesure de l’être humain. On doit plutôt s’attacher à la véritable nature de la pensée humaine.
La pensée humaine, disait Harendt, se situe dans sa capacité à donner un sens au monde et à interpréter de façon non automatique. Ce qui n’est pas donné à la machine. Mais que celle-ci puisse déchiffrer mieux que nous les données complexes ne fait plus de doute. Qu’elle maîtrise les mots d’une façon que l’on pourrait appeler sémantique, aussi. L’espace laissé à l’humain se rétrécit peut-être, mais elle nous laisse toujours dans un champ interprétatif exclusivement humain.
La «désincarnation de l’intelligence humaine» engendre définitivement des avenues que je n’osais pas imaginer il y a 5 ans*. Mais elle nous force è redéfinir ce que l’on entend maintenant par intelligence.
À lire sur Zéro Seconde
– Exponentiel, mon cher Watson (mon billet de la semaine dernière)
* J’ai correspondu avec Vincent-Olivier en 2004 sur la possibilité que le réductionnisme apporté par l’intelligence artificielle puisse décentrer l’homme de son socle d’être intelligent. J’ai défendu que l’aspect de la sémiosis humaine reste indépassable. Mais il faut reconnaître que l’actualité semble aller davantage dans sa direction. Voici la série de mes réponses:
– Intelligence artificielle et semiosis humaine
Je suis tombé sur une émission de télé où le jeu consistait à nommer le pays, la capitale, le nombre d’habitants et la monnaie à partir des seuls drapeaux. Le concurrent a réussi à tout réciter, non sans une certaine souffrance, toutes les bonnes réponses. Je crois que depuis cette semaine, ce genre de «compétition» devient plutôt pathétique tellement on dirait que l’homme cherche à singer la machine…
Mais est-ce que IBM osera faire passer le test de Turing à Watson?
Éric, je n’ai pas lu de façon extensive sur Watson, mais je n’ai pas vu de référence à un test de Turing. Pourtant, d’après ce que j’en comprends, Watson manipule bien les mots et le sens. Mais est-ce suffisant pour tenir une conversation et gagner le test de Turing? je ne sais pas…