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La société des chroniqueurs

Les carnetiers ont été nommés « People of the year » par ABC’s news.

Hum. Bien content de voir que le phénomène prend de l’ampleur, car cela accéléra la transition vers le nouveau web (les blogs sont les chevaux de Troie du RSS). Mais je me demande ce qui a motivé ce choix.

Pourquoi cette année, pourquoi maintenant?

Cette année, parce qu’elle en était une présidentielle (pour les Américains) : « (…) for the first time, bloggers were permitted to cover the national political conventions firsthand. Bloggers have taken the lead over traditional media on a number of stories (…) ».

En ce moment, parce que les médias digèrent encore le coup du Tsunami : « This week, their influence has become readily apparent. Dozens of bloggers have been filing firsthand reports from the areas devastated by southern Asia’s deadly tsunamis.« 

Sur le même thème, François Guité rajoute : « En plus de décrire les événements locaux dans un continuum espace-temps, les récits gagnent en instantanéité tout en évitant le journaliste interposé. »

On reconnaît là la courte vue des médias de masse où tout se résume à l’instant même (ou la demi-seconde qui précède). D’ailleurs la preuve en est que la fonction de communication qui attire l’attention des spécialistes des communications sur les blogs se résume à son immédiateté:

« Some of the most compelling images of 2004 found their way to blogs first, from the Florida hurricanes to the war in Iraq. It was a blogger who got the first photographs of coffins carrying U.S. soldiers arriving in the United States from Iraq. » (C’est moi qui souligne).

On pourrait rajouter les récits à la première personne de phukettsunami.blogspot.com .

La symbiose semble parfaite entre les blogs et la télé : l’un et l’autre se nourrissent dans l’exposition des scoops et le manque de recul. Nous sommes entrés dans la société des chroniqueurs.

Écrire dans l’immédiat

Je lisais récemment dans le Monde 2 que la particularité des carnets était d’être « écrit à chaud ». Il n’est donc pas étonnant que la blogosphère donne le pouls d’une population, pour le meilleur ou le pire. Dans ce sens, les blogs se font intégrer dans le spectacle du monde (au sens qu’y donne Guy Debord).

Les médias ne semblent jamais expliquer l’extrême rapidité de la propagation de l’information dans la blogosphère qui repose sur le RSS. Un blog ne sera jamais autre chose qu’un micro dans une salle vide sans le fil web. C’est lui qui permet de fairecirculer l’information. Or, on sélectionne les fils en fonction de ses désirs/besoins/envies. Grosso modo, nous trions ce qui entre. C’est le biais cognitif, le filtre obligatoire pour éviter la noyade. Il n’est pas étonnant que les médias sélectionnent eux aussi les fils qui alimentent leur vision du monde comme accumulation de spectacles. Dans ce sens, alors, ce n’est pas la blogosphère qui se fait récupérer, c’est la vision déformée des médias qui la tronque.

Écrire à chaud

J’ai fini par accepter l’idée. Le carnet s’écrit à chaud (ne sous-estimez pas les implications d’une telle assertion). Mes billets ne s’écrivent pas sur une longue période, elles ne sont pas relus par des pairs, ni supportés par des références littéraires approfondies, ni minutieusement corrigés après coup pour atteindre la perfection.

Ne nous trompons pas : cela donne des grands textes . Mais ils ne sont pas du même genre que les textes académiques. Ils n’en ont ni la prétention, ni les moyens. Même s’ il y a des exceptions notoires (pensons à l’excellent blog de Dave Pollard « How to save the world »).

Le genre limite l’expression de la pensée : en ce sens, la blogosphère n’est pas la noosphère. Seulement une sous-partie. Laquelle? En fait, cela dépend du « déclencheur » de la rédaction du billet.

On écrit parfois à chaud selon deux vecteurs:

(1) soit sur un événement qui surgit,
(2) soit sur une idée qui germe.

La première découle du journalisme-reporter. Et ce sont ces carnetiers qu’ABC récompense cette année. L’évidente filiation ne doit toutefois pas cacher qu’il s’agit souvent d’opinion et non de journalisme. L’évènement, pouvant être, ici, autant une juvénile excroissance téguménique en saillie (parfois appelé bouton d’acné) qu’un raz-de-marée, est retransmis et commenté.

La seconde découle de l’écrivain-essayiste, voire de la philosophie. Ce sont des questionnements de valeurs subjectives non associés à un événement, mais bien à une pensée. Le carnet dans ce cas relate chronologiquement l’évolution d’une formation. Ces idées peuvent varier de la façon de gagner à un jeu vidéo jusqu’à la recherche empirique du sens.

Les nouveaux chroniqueurs

Tous les deux font parties des nouveaux chroniqueurs de la connaissance (avec ou sans majuscule). Ils oeuvrent à construire une nouvelle institution contemporaine du savoir. À ce titre, elle serait en opposition avec le savoir scientifique (celle de la recherche et de l’enseignement -nous entrerons dans ce débat une autre fois).

Ce savoir appellé savoir narratif a trouvé son terrain fertile : la blogosphère (du moins celle qui s’écrit à chaud). La tradition des récits (appelé au goût du jour StoryTelling) retrouve un lieu pour exister formellement.

La société des chroniqueurs véhicule des narrations bien particulières qui déterminent à la fois ce qui est dit et ce qui peut être connu (contrainte de l’outil et du processus) et qui appelle une toute nouvelle façon de transmettre la connaissance. Voilà la nouveauté, voilà ce qui va changer le monde…

Billet original sur http://zeroseconde.com

ZEROSECONDE.COM (cc) 2004-2012 Martin Lessard

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Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

One thought on “La société des chroniqueurs

  1. Jean-Pierre Cloutier donne le ton : c’est l’inflation des blogues.

    « Ce qui est regrettable dans ce type d’inflation, c’est qu’on présente les blogues comme une panacée à tous les maux dont peut souffrir la communication alors qu’il n’en est rien. ».

    Il cite ensuite Jack Shafer, dans Slate,: « Dans l’empressement qu’on manifeste à définir une nouvelle technologie et à vanter ses mérites, la tendance humaine à la surenchère s’installe ».

    C’est donc vraiment l’année des blogues, car l’inflation verbale qui caractérise les médias de masse, reconnu pour transformer l’information en vecteur d’émotion, et l’excitation médatique s’accompagnent toujours d’un simplifcation massive, cette surenchère d’on se plaint Cloutier. Le grand public en sera donc friant…

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