Dans L’Être et l’écran, Stéphane Vial dit que ce qu’il y a de nouveau, c’est la «renégociation de l’acte de perception». Nous percevons autrement le monde. De nouvelles «structures techniques de la perception», qui découlent de la présente révolution numérique, lui font dire qu’il n’y a une «révolution phénoménologique» en cours. Et ce n’est pas la première.
Les nouveaux appareils numériques, tels que les tablettes, les smartphones ou les ordinateurs toujours plus puissants, influencent grandement la manière dont le monde d’aujourd’hui nous apparaît.
Je décrivais, il y a dix ans, dans les 6 cultures du numérique issues d’Internet, les vagues successives de changements, dans le réseau Internet, qui ont façonnés la société d’aujourd’hui.
Je vois maintenant une 7e culture qui émerge. Elle chevauche des notions comme le «big data», «la mesure de soi», «la surveillance», « les objets connectés » et «l’intelligence artificielle». Elle induit plus que jamais une «réification du monde». Tout devient «chose» sur son passage
En fait, elle vise à «automatiser» le monde.
Le passage à l’objet
Le numérique «chosifie» tout , y compris l’homme, qui ne serait qu’un « document comme les autres », selon l’idée «séminale» d’Olivier Ertzscheid. Si ça se mesure, ça peut devenir une «chose». Ertzscheid parle plutôt de document.
«Il devient nécessaire de questionner le processus qui après avoir ouvert l’indexation à la marchandisation, après l’avoir parée de vertus «sociales », place aujourd’hui l’homme au centre même du cycle documentaire, non plus comme sujet acteur, mais comme un objet documentaire parmi d’autres.» –Olivier Ertzscheid, L’homme, un document comme les autres (Hermès, 2009)
De l’ordre du nanométrique jusqu’à l’échelle des villes, tout devient un objet «documentable» et connecté — pourvu que l’on arrive à le mesurer (à le rendre «lisible»).
La surabondance de l’information est un problème pour nous, humain, mais pas nécessairement pour la machine. Si la machine nous a aidés jusqu’ici à gérer les données (les datas), elle gère maintenant les informations et prétend bientôt générer de la connaissance.
Dans Too big to know, David Weinberger dit que la forme de la connaissance proposée par le web diffère de celle proposée par le livre.
Alors que le livre est «borné par ses deux couvertures forçant une sélection» de ce qui y entre versus ce qui n’y entre pas, le web est, lui, sans fin et inclus tout et son contraire.
C’est «trop gros»: «On ne s’accorde plus sur les données à sélectionner, ni sur la façon d’en interpréter leur mise en contexte». 2016 a été une annus horribilus de ce côté au Royaume de Trumpland.
Une intelligence bien artificielle
Voilà venir la promesse d’une technologie comme adjuvant capable de nous assister à maîtriser le monde physique.
Maxime Johnson raconte que de nombreuses entreprises ont présenté cette semaine au CES 2017 des appareils qui possèdent l’assistant vocal Alexa, d’Amazon :
Westinghouse propose une TV, LG un réfrigérateur, Ford dans ses autos, GE pour ses ampoules connectées, une interface vocale
Quand les laveuses, sécheuses, fours, réfrigérateurs, routeurs, aspirateur se mettent à nous comprendre, on passe à un autre niveau! Pourquoi? Parce que la commande vocale est l’interface idéale pour l’internet de objets. L’intelligence n’est pas dans la machine, mais dans l’interface.
Ce qui passe peut-être encore pour un gadget, Alexa, est en fait l’interface future des objets connectés.
«Parler» à nos objets du quotidien génère assurément une «révolution phénoménologique». Soit nous sommes une chose comme les autres, soit les choses entrent dans le monde humain.
Ce tournant, c’est ça.
Très juste : « En fait, elle vise à «automatiser» le monde ». C’est aussi la promesse de la technologie de chaînage de blocs – automatiser les micro-transactions. Merci pour cet article. Je retourne converser avec mon fridge…