Si on suit l’actualité médiatique entourant les Jeux olympiques, on ne peut qu’être étonné par les médias occidentaux qui ne cessent de rapporter les faits divers du pays hôte. Pollution atmosphérique similaire au bercail, manifestation isolée pour le Tibet, menaces terroristes lointaines. Les médias ne se rendent pas compte qu’ils sont en train de filmer ce qu’ils ont provoqué.
Le 8 août 2008 n’a pas marqué le début des Jeux olympiques de Pékin, mais bien la célébration de l’arrivée de la Chine dans le concert des nations.
Notez que je dis bien célébration. Car la Chine n’a pas attendu cette date pour entrer dans le concert des nations. Remarquez aussi qu’elle aurait pu aussi bien ne pas nous inviter.
« Ce n’est pas sans raison que la Chine ancienne était qualifiée d’empire du Milieu » nous rappelle Gil Courtemanche, « Politiquement, la Chine fut et est parfaitement imperméable. La Chine se fout du monde entier, elle ne cherche ni l’approbation ni la compréhension. La Chine est l’empire du Milieu, elle est souveraine et supérieure, immuable et éternelle.«
Médias, microscopes sur le monde
Il est parfaitement risible, indécent ou mal poli de la part de tous ceux qui espèrent manifester (ou rapporter une manifestation) sur les droits de l’Homme, le Tibet ou la censure en Chine durant les Jeux olympiques.
Les Chinois ne sont pas des Biafrais de l’information. Ils sont parfaitement au courant de ce qui se passe dans le monde et ont accès aux mêmes informations que nous. (Ou presque… Le gouvernement central et autoritaire ayant encore la fâcheuse manie d’empêcher les gens de penser par eux-mêmes; mais ce n’est en rien un frein pour les Chinois).
L’info est-elle l’omega 3 de l’esprit?
Comprenez. L’accès à l’information en Occident n’empêche pas les populations occidentales de penser que Saddam Hussein avait des « armes des destructions massives » (pour les Américains), que la guerre d’Algérie n’était pas une guerre coloniale avec des crimes ignobles (pour les Français) ou que le gouvernement central a les intérêts du Québec à coeur (pour le Québécois – on a les défis que l’on mérite).
Quand je vois que les médias montent en épingle la manifestation de deux-trois étudiants portant un drapeau tibétain à Pékin, on frôle la désinformation. Ces manifestations d’Occidentaux en pays chinois ne sont que des artefacts de la présence des médias occidentaux.
En Chine, ils sont 1,3 milliard. C’est comme filmer un bouchon de liège dans l’océan et dire que cet « événement » est significatif pour boucher le fond de l’eau.
L’ère de l’interprétation
Les médias, pour bien faire leur travail, ne devraient pas transmettre les faits divers inéluctables dans ce genre de situation. Oui les droits de l’Homme sont bafoués, oui le Tibet est occupé, oui la pollution est alarmante. Mais nous ne sommes plus à l’ère où l’information ne se rend pas à destination. Nous sommes à l’ère de l’interprétation.
Tant qu’à être en Chine, que les médias cessent de parler du smog ou de chercher la prochaine micro-manifestation de long-nez pour dénigrer le pays hôte. Qu’ils interviewent les vrais habitants chinois pour qu’ils nous parlent de leur « réalité »:
« J’ai vu à la télé des chômeurs chinois qui remerciaient le gouvernement d’avoir abaissé le taux de pollution à Beijing. Ils sont chômeurs parce que leur usine a été fermée pour que la pollution baisse. Cent mille ou deux cent mille personnes ont été déplacées pour que soient érigés le stade et la piscine olympiques. Les déplacés disent que leur éviction va contribuer à la grandeur de la Chine. » (G. Courtemanche)
Que les Chinois nous partagent leur vision du monde, aussi déformée soit-elle, et on pourra enfin comprendre ce qui se passe dans leur tête.
On verra que le fossé qui nous sépare ne sera pas comblé à coup d’accès aux vrais Google Images de la place Tian An Men.
Internet des têtes
On verra qu’ils ne sont pas sur le même Internet que nous, non pas parce qu’il y a des pare-feux censureurs de Cisco, un Google tronqué ou un Yahoo Email qui dénoncent ses membres, mais bien parce que leur algorithme culturel et mental, après des siècles de dictatures impériales célestes et des décennies de celle maoïste ne trient pas de la même façon que nous les informations.
Il faut avoir vu le spectacle de l’ouverture des Jeux pour comprendre que la grandeur de la Chine passe par la coordination incommensurable de chaque individu pour un but supérieur, qui dépasse les simples « détails » comme la pollution, le Tibet ou le droit de l’Homme. Elle cherche à retrouver la face.
Et nos médias ne nous montrent que les petits boutons que leur présence a provoqués.
Un monde, un rêve.
Je reprends une conclusion de Marie-Cristine Beuth et la fais mienne:
1. Les Chinois prennent la parole plus souvent que certains portraits d’un monde manichéen laisseraient croire.
2. Ils cultivent un vrai goût pour la manière chinoise de faire.
À nous de comprendre, d’échanger, de convaincre. Sinon, de toute façon, la Chine éternelle n’a pas besoin de nous…
—
Pour un regard non standardisé sur la Chine, lisez ces blogues:
Everybody say hi Brice ! (Fr) Découvrez la Chine autrement
China Web2.0 Review (En) Next Generation Web in China
Un oeil sur la Chine (Fr) Gille Sabré, photographe
SexyBeijing,tv (En / Ch) Vidéo et blog, en direct de la Chine
—
Martin,
j’apprécie tes écrits avec lesquels je suis souvent d’accord. Je commente malheureusement souvent sur les détails de divergence (les bouchons de liège).
La poutre dans l’œil les média ne l’ont pas que pour la Chine et les JO. ils parlent de ce qui peut faire (nationalement) de l’audimat et ça pourrait déformer la réalité avec ce que nous pourrions trop hâtivement déduire, percevoir de ce traitement de l’information.
La Chine ne se « fout pas du reste du monde ». Sa croissance provient en partie des consommateurs occidentaux. Son pétrole vient de l’étranger etc… Ses centrales nucléaires sont construites par des entreprises étrangères etc… Si elle se foutait du monde comme autant de Mao, elle aurait pas dépensé des milliards pour accueillir les JO. CQFD
J’ai pas de TV mais j’ai vu les journaux online.
La pollution, le Tibet sont des sujets lourds mais qui ne doivent pas nous cacher le reste, ok. Avec le progrès économique et les besoins essentiels assurés (nourris, logés et soignés) pour la masse devrait normalement venir progressivement dans la classe moyenne et aisée le besoin majoritaire de plus de liberté et de démocratie.
J’ai visionné plusieurs scènes d’un documentaire de 1972 de Michelangelo Antonioni
Cina (207 min) vo.s-t.eng
http://french.imdb.com/title/tt0068375/
Assez édifiant le changement d’architecture et de mode de vie en moins de 35 ans. De rues fluides pleines de vélo on passe aux rues embouteillés de voiture. « On arrête pas le progrès. » 😀
Paul, bon point: « La poutre dans l’œil les média ne l’ont pas que pour la Chine et les JO ».
Et pour ce qui est de « se foutre du reste du monde », on pourrait répondre par une question ainsi: est-ce les Américains « se foutent du monde? ». Oui et non. On n’est évidemment jamais isolé. Mais on peut faire comme si…
Pour ce que qui est des sujets « lourds », je crois qu’il faut simplement cesser de croire que c’est un pur manque d’information de la part des Chinois.
Eux aussi, et tu le soulignes, cherchent à s’en sortir. Le Tibet, c’est les plaines de l’Ouest de l’Amérique du 19e Siècle. À 75 ans près, c’est le même génocide et le même oubli des peuples…
Le 8 du 8, 2008, on a vu la Chine revenir d’un calvaire incroyable qui a duré environ 1 siècle. Oui, « on n’arrête pas le progrès ». Mais maintenant, les Chinois font autant partie du problème…que de la solution.
C’est rien de nouveau mais les JO nous permettent de voir l’étendue de l’ethnocentrisme, dans les médias. Dirigé vers la Chine, bien sûr. Mais plus généralement vers la diversité culturelle.
On porte des oeillères, c’est normal. Mais c’est déjà de l’ethnocentrisme puisque c’est une question de se cantonner à sa propre vision du monde. Mais l’étape suivante, c’est d’utiliser notre vision de l’autre pour se définir soi-même. C’est un peu la définition de la partie «exotérique» de l’identité, mais quand c’est appliqué à tout un peuple, ç’a des effets spécifiques. Cf. Orientalism d’Edward Said.
Ce qui est fascinant, c’est à quel point le concept de la Chine permet aujourd’hui aux Américains de parler du système qui est lié à la notion de Capitalisme. Depuis la chute de l’Union Soviétique, ce système commençait à être tenu pour acquis, presque comme un universal. Dans ce cas-ci, il y a tout un portrait associé au journalisme, à la démocratie nationale et à la «main invisible» du marché ouvert. Même dans des contextes scientifiques (ScienceTalk de Scientific American) ou technologiques (This Week In Tech). C’est pas une vision du monde beaucoup plus large mais c’est déjà une certaine «introspection sociale». Les journalistes de carrière ont parfois de la difficulté à aller jusque-là (et démissionnent du journalisme quand ils voient leur intégration au système).
Autre élément intéressant c’est qu’à un certain niveau, ce qui se dit de la Chine aux États-Unis ressemble fort à ce qui se dit des États-Unis ailleurs dans le monde (entre autres au Québec). Oh, pas dans le détail. Mais il y a une similarité bien audible au niveau de la conception d’une population homogène (alors que la Chine et les États-Unis ont des populations très diverses) et au niveau du rapport au gouvernement. Il y a une distinction à faire entre hégémonie et despotisme mais, au niveau de la représentation, les effets sont à peu près les mêmes.
Pour ce qui est d’entendre des Chinois (Hans ou non), on a de plus en plus la possibilité de tendre l’oreille. Même si les journalistes euro-américains n’ont pas pris l’habitude d’entrer en dialogue avec la population locale, il y a désormais un contact plus rapproché entre la Chine et le reste du monde. Ce billet-ci en est la preuve.
Enkerli, je me demande ce à quoi ressemblera le monde quand les médias cesseront de représenter l’Autre comme de l’autre côté de fossé incommensurable.
On dirait que l’Autre sert à nous définir (« nous ne sommes pas comme eux »). Perdre l’Autre (en le comprenant, en l’acceptant) devrait donner le vertige, car c’est perdre sa référence…