La campagne électorale québécoise est lancée. Et Internet, à l’heure de ce qu’il est convenu d’appeler le web 2.0, semble devenir un vecteur de communication non négligeable. Mais les questions qui se posent ici ne sont pas de savoir si la cyberdémocratie est à nos portes, mais si Internet va se plier aux règles du «monde réel».
« Internet a beaucoup évolué depuis la campagne de 2003. Pour le citoyen, internet, ce n’est plus seulement pour chercher de l’information : c’est maintenant un moyen de diffuser de l’information. Nos règles ne sont pas nécessairement adaptées à toutes les situations. »
Voilà ce que le Directeur général des élections admet via son porte-parole (Source Paul Cauchon dans le Devoir d’hier : Internet inquiète le DGE ).
Web 2. Élection 0
Un peu maladroit comme formulation : Internet n’a pas fondamentalement changé, c’est son usage qui a changé. Il ne faut pas prendre le 2 de web 2.0 à la lettre. Le citoyen a toujours eu le moyen de diffuser de l’information; mais aujourd’hui, clairement, il lui est plus facile de le faire qu’auparavant. Pour deux raisons :
- Les outils mis en place par des corporations ont facilité grandement l’auto-publication pour le grand public (plateforme blogue, commentaires, wiki, espace perso).
- La masse critique de contenu provenant de la base (user generated content) offre une qualité suffisante pour concurrencer les grands groupes de communication.
La vraie raison, c’est que l’on ne commence à prendre au sérieux Internet qu’aujourd’hui.
Que les règles du DGE ne soient pas adaptées, j’oserais dire qu’il fallait y penser avant. Le rôle crucial du DGE est de surveiller les dépenses des partis pour faire respecter une certaine idée de la démocratie (personne ne veut revenir à une oligarchie de riches manipulant l’opinion publique avec leur sac de billets verts).
Aux blogues, citoyens!
Mais que faire des blogues politiques alors? Est-ce une dépense électorale admissible et répertoriée? S’agirait-il de « l’équivalent des lettres aux lecteurs » comme l’avance le DGE. Pourquoi pas? J’avais auparavant avancé que le billet d’un carnet est un courriel à tous. On aurait donc tous le droit d’écrire au « journal mondial ».
Serait-ce une façon de minorer l’impact des blogues? Inutile de la faire, car au Québec, comme le dit Patrick Lagacé et Hou-Hou, « la blogosphère québécoise n’est pas rendue « là ». Pas au niveau d’organisation et de maturité de la blogosphère américaine, par exemple ».
Caisse occulte (de résonnance)
Peut-être qu’aucun blogue ne pourra rivaliser avec la machine médiatique traditionnelle, mais peut-être aussi que la blogosphère québécoise, dans son ensemble, sera une grosse caisse de résonnance pour faire percoler de l’information.
La loi régit seulement le contrôle des dépenses (qui a une incidence sur la quantité de pancartes ou des dépliants imprimés par exemple) mais contrôle-t-elle la reproduction « sans coût » des idées ou du programme? J’ai aussi souligné le rôle de relais des blogueurs: reprendre des extraits d’un site ou d’un message et les republier sur son blogue est une pratique courante. Considère-t-on son temps comme relié à une activité électorale. Dur à prouver en tout cas.
Politique pull versus politique push
Mais il ne faut pas oublier une chose : le médium Internet est un média pull. On ne pousse pas l’information, on vient la chercher. Le blogueur le plus politisé qui soit risque de n’attirer que des convertis. Et de toute façon, les sites (non-blog) partisans ont depuis le début existé: le contenu est là, sous forme de blog ou non. Car il n’y a plus besoin d’écrire à l’heure de youtube (via Patrick lagacé). Alors où est la différence avec une campagne Internet ?
Des notions d’espace média, de temps d’antenne ou d’argent dépensé ne tiennent plus. Un vidéo viral qui atteint 1 million de personnes n’est pas la même chose qu’une pub qui rejoint le même nombre de téléspectateurs. La définition d’une publicité me semble inclure l’idée de push. Et c’est ce que le DGE contrôle : les médias push.
Seconde vie
Mais que faire de la caisse de résonnance dont je parlais. Quand on voit ce que Sarkozy fait sur Second Life, on voit bien que ce serait moins pour faire des débats par avatars interposés que pour se faire parler de lui. Et la caisse de résonnance de se mettre en marche pour faire du bruit médiatique pour lui. Une seconde vie pour propulser son brand… gratuitement.
Est-ce que la construction d’un lieu virtuel fait partie des dépenses électorales? La production de ces communications devrait être comptabilisée. Mais pas leur diffusion, mixage, remixage, syndications, spin-off, détournement, citation, copie. On ne contrôle pas un mème. Mais si un élu se présente au débat virtuel, il y a lieu de comptabiliser la dépense…
Si le DGE s’entoure bien, il pourra réussir à trouver les bonnes balises. Pour l’instant, la partie est encore simple. Le débat sera vraiment plus corsé quand des équipes de professionnels, pour le compte d’un parti, réussiront à faire l’astroturfing pour modifier l’opinion publique de façon tout à fait « cyberdémocratique »…