Les jeunes de 18 à 24 ans délaissent les médias traditionnels, mais consultent sur Internet, la plupart du temps… des sites de médias traditionnels. La gratuité semble un facteur décisif, que ce soit avec Internet ou les journaux gratuits dans le métro. Contradiction?
C’est ce que rapporte Paul Cauchon du Devoir dans son article : Les jeunes se méfient des médias traditionnels tiré du constat de deux chercheuses de l’INRS, Claire Boily et Madeleine Gauthier qui ont rencontré 70 jeunes de trois villes, Montréal, Toronto et Vancouver (entrevues /focus group pour le compte du Centre d’étude sur les médias et du Consortium canadien de recherche sur les médias.
On nous y rappelle que statistiquement les jeunes de 18 à 24 ans sont moins nombreux à lire les journaux et à regarder la télévision que les autres groupes d’âge et que la gratuité de l’information est un des facteurs qui influencent le plus leur comportement.
« Les auteures de l’étude se sont dites surprises de voir à quel point les jeunes sont méfiants envers les médias traditionnels et de voir à quel point ils critiquaient le manque d’objectivité et la partialité des médias. Cette représentation négative des médias est exacerbée par la concentration de la presse, qui porterait journaux, radios et télévisions à diffuser les mêmes nouvelles partout, selon eux. Ils sont également critiques envers les impératifs commerciaux des médias.« .
La fin des médias traditionnels?
J’ai trouvé, dans une autre étude, ce que l’on se doutait un peu, à savoir qu’il semble à tout le moins prématuré de prédire qu’Internet remplacera les médias conventionnels comme source d’information pour le public :
- 55% des Canadiens ne consultent jamais Internet à cette fin.
- 75% des francophones disent ne jamais prendre les nouvelles en ligne.
Parmi les gens qui consultent des sources Internet pour s’informer, beaucoup choisissent les sites web des médias conventionnels.
(source : Fiche d’évaluation des médias canadiens du Consortium canadien de recherche)
Donc la question est pourquoi les jeunes, d’un côté, critiquent les nouvelles écrites sur des arbres morts, mais s’emballent quand elles sont véhiculées par des pixels?
Et la réponse serait parce que c’est gratuit. D’ailleurs le scrupule des coupes à blanc pour nourrir l’actualité leur passe par dessus la tête si le journal est gratuit (comme dans le métro).
Une mise en scène du monde dépassée
Je préfère croire que les jeunes ont développé une répulsion face à la manipulation partisane de l’information par les éditeurs de journaux. On connaît tous la manipulation des magnats de la presse dans leur choix de la Une, des titres et chapeaux des articles, de la place des nouvelles dans le journal (ou de leur passage au silence).
On n’a qu’à se rappeller la couverture de la course à la chefferie du Parti Québécois , dans le journal La Presse (notoirement fédéraliste) : leur candidat favori (Boisclair) était à la Une plus souvent que leur candidat honni (Marois).
Pas que La Presse soit devenu pro-indépendance du Québec, loin de là, mais bien parce que Marois était une candidate plus menaçante pour l’unité candienne. En poussant le vedetariat de Boisclair, comme on joue la couverture de Star Académie, on s’assurait d’influencer les membres du Parti Québécois pour choisir le candidat le « plus faible ».
Maintenant que Boisclair est élu à la tête du Parti Québécois, on verra plus tard s’il est aussi « faible » qu’on le prétend, mais pour l’instant, outre sa consommation de cocaine, il y a sûrement des cadavres dans le placard qui sont réservés à petit feu pour être servi au moment opportun. La Presse a « gagné » ses élections…
Les jeunes ne sont pas dupes de la mise en scène de l’information. Ils voient ce genre de manipulation. Ce n’est pas l’information qui est de mauvaise qualité, c’est la mise en scène qui est insupportable.
Information want to be free
En accèdant directement au site web du journal, le jeune court-circuite le spectacle du monde organisée par une poignée de manipulateurs : la contrainte de l’espace-page n’existe pas. Une information n’est pas en page 18 ou en Une. Elle a une adresse URL. Accessible directement.
Bien sûr, la possibilité de ne pas mettre l’information existe mais la pression de la concurrence les force à faire eux aussi du dumping d’info à la « all-you-can-eat« . Un portail aussi est un filtre, une mise en scène de l’information. Mais si elle ne nous plaît pas, nous sommes toujours à un clic du portail concurrent.
Les jeunes s’intéressent aux questions sociales et politiques. Si on leur offre un accès gratuit, vu leur condition économique, il est normal qu’ils choississent la gratuité.
Consomm-acteur d’info
Le problème vient du fait que la gratuité tue l’information de qualité (qui doit être payant). Ils devront apprendre, en veillissant, à accepter de payer (ce qu’ils seront en mesure de faire) et accepter que l’information, dans les faits, est une extraction subjective du réel. Le problème ne commence pas là, mais bien quand il y a concentration des organes d’informations dans les mains d’un petit groupe.
Au jeu de l’info gratuite, c’est le consommateur final qui se doit de faire le tri et filter. Ça demande du temps. Ça demande des compétences.
Actuellement, la blogosphère est une gigantesque forêt de Sherwood où les Robin des Blogs volent les riches pour donner aux pauvres. Mais en brassant l’information dans tous les sens, on perd le contexte de l’émetteur (et donc la possibilité de connaître son biais).
Paul Cauchon termine en citant Henry Milner, du Collège Vanier, qui demande que l’on trouve les moyens de «faire l’éducation civique sur les médias». J’ajouterais, non pas tant pour devenir « bon- récepteur- qui- sait- décoder », mais bien pour devenir un bon navigateur qui sait comment faire ressortir l’information et surtout comment la valider (via l’identification d’autorités cognitives notamment)…
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Excellente analyse de la situation montréalaise.
Cependant la situation en région est très différente. Par exemple, dans Lanaudière, les journaux et leurs sites Internet sont la propriété de Transcontinental. La situtation est identique dans beaucoup de régions du Québec, Transcontinental se partageant le marché avec Québécor.
Comme ces portails sont mis à jour après la sortie des hebdos gratuits, l’information que l’on y retrouve n’est plus récente ou inédite. De plus, la présentation sur ces portails est semblable à celle du support papier. La page d’accueil regroupe les nouvelles importantes et payantes!
Dans Lanaudière et les Laurentides, l’information régionale est plus ou moins couverte par les grands quotidiens à moins d’événements exceptionnels. Les citoyens de ces régions doivent vivre avec une information quotidienne « montréalisé » ou suivre l’information une fois par semaine dans les hebdos ou leurs sites internet mis à jour une fois par semaine. Il y a bien sûr quelques journaux indépendants mais avec un site Internet traditionnel.
Bref, il n’y a pas de quoi intéresser les jeunes de ces régions à l’information régionale!
Excellent billet, Martin, que j’ai archivé bien sûr.
Content de voir que je reste jeune, et « pauvre » 😉
Le problème vient du fait que la gratuité tue l’information de qualité ????
Est-ce que vous avez des arguments pour appuyer ceci? Je ne suis pas du tout d’accord avec cet énoncé. Je consulte un grande quantité d’informations « gratuites » et celles-ci ne sont pas de moindre qualité que des sources payantes loin de là.
Éric Robert, merci pour la précision. Ça me permet de comprendre mieux la réalité du sondage (même si le sondage concernait des citadins).
François Guité, je suis dans la même situation. Mais je crois que c’est par déformation professionnel.
Martin Jacques, je relève le défi d’essayer d’étayer mon assertion. Mais je n’ai pas insinué que l’info gratuite était de moindre qualité que la « payante » (même si la gratuité peut mener à de la mauvaise qualité – ou de la désinformation– à terme). Je vais tenter de montrer le défi de l’équilibre payant/gratuit et les enjeux pour la « qualité » (et définir plus clairement ce que j’entends par qualité). Dès que j’aurais plus que zéro seconde à moi.
J’ai commencé à toucher le sujet de la gratuité de l’information dans mon billet sur la blogosphère et les médias