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Charte du knowledge management

Il y a un an j’écrivais un (long) billet sur ce que j’appelais le extreme KM: une charte qui force les employés à transmettre leur connaissance à l’entreprise.

Et bien voilà, c’est fait, Martin Dugage Roulleaux annonce la livraison d’une charte du Knowledge management (pdf).

« La présente charte manifeste la volonté de l’entreprise d’assurer un développement harmonieux de son système de bases de connaissances, en faisant la promotion de son utilisation et en le préservant d’éventuels détournements d’usage.« 

La charte du knowledge management
La charte précise ce qu’elle entends par « partage » et « mutualisation des connaissances ». Si l’entreprise « s’engage à mettre à disposition des utilisateurs un système de bases de connaissances ergonomique et moderne qui leur facilite le travail de capitalisation et de partage des connaissances en l’intégrant dans les processus de l’entreprise« , l’employé, lui, doit se soumettre de force à la conservation numérique de toutes traces de ses activités professionnels, à les répertorier et coopérer à toutes requêtes sur sa production.

On ne manquera pas de remarquer que seules les compagnies qui pourront faire du data mining sur le déluge de données qui découlera de la mise en place d’une telle charte seront en profiter.

Il me semble que cette charte revendique trop une approche « top-down » et qu’elle laisse place à des abus potentiels (je crois que l’adhésion à la charte est relié à l’emploi), mais il est peut-être trop tôt pour s’en apercevoir (voici une crainte dont je faisais part). Il est évident qu’il n’y a aucune malice dans le document et il y a fort à parier que l’origine de la charte provient d’une frustration répétée de la non-coopération actuelle des travailleurs du savoir au sein de la compagnie qui en a fait la rédaction (ou selon l’expérience de ses rédacteurs).

La connaissance paye… mais à qui?
On ne se le cache pas, cette charte est là pour protéger et enrichir la compagnie (en autant qu’elle sache faire fructifier le savoir ainsi accumulé). Le KM, l’était déjà, avant, mais de façon passive. « L’entreprise est en droit de réaliser tous les traitements automatisés d’analyse et de renseignement qu’elle jugera utiles sur ses bases de connaissances.« 

Vous pourriez être légalement tenue de former la mémoire de l’entreprise.

Voici donc aujourd’hui la première tentative d’une société d’instituer et de conserver une mémoire corporative puisée à même ses ressources humaines qu’elle emploie. Elle pourra être la somme de tous ses travailleurs qui sont passés en son sein.

Tout ceux qui travaillent à faire circuler l’information dans leur compagnie risquent d’être séduit par les sirènes de la collaboration forcée (rétroaction rapide, l’interrelation entre les chercheurs, valorisation des processus de recherche).

Lutte des classes xml
Que l’on ne se méprenne pas sur mon point de vue : j’aime le partage de l’information, même en entreprise, mais la consignation numérique de tous les actes professionnels pourrait spolier à terme tout ce qui reste d’humain chez le travailleur (après la force mécanique, c’est au tour de l’intelligence d’être exploité). Quand la base de connaissance aura une masse critique, moins d’employés seront nécessaires pour faire vivre l’entreprise…

La conclusion que j’apportais l’an passé reste toujours pertinente:

Le besoin de rendre une communication claire et explicite demande d’être soi-même clair et concis dans ses pensées, nous sommes porté à réfléchir et retravailler notre pensée jusqu’à la complète compréhension de la problématique.

Jusqu’ici, tout va bien.

Mais alors, pour qu’elle se réalise, cette pensée, elle devra être verbalisée ou écrite. Et à ce que je sache, dans un réseau où joue la sérendipité, la transparence est de mise. Or toute idée exposée (même personnelle ou involontaire) sur un lieu de travail deviendrait la propriété de l’employeur, l’employé n’ayant pas les capacités cognitives d’arrêter le flot de sa pensée ni de conserver celle-ci sous formes d’idées non extériorisées le temps de s’extraire du territoire légal.

Les technologies d’information retrieval sont encore trop primitives pour nous permettre de réaliser tout le pouvoir caché derrière la « traçabilité des activités » inscrite dans cette charte. C’est pourtant pour demain…

A suivre…

PS: précision du 7 septembre.
Un peu de détail sur le document (par moment l’accès au document semble instable):

Charte : Utilisation des système de bases de connaissance
de l’AFAI : L’association Française de l’Audit et du conseil Informatique
Mai 2005
Publier sous Creative Commons (ça mérite mention)

Elle contient une quinzaine de page, mais seulement la moitié est consacrée à la charte elle-même. Le texte est écrit dans un langage concis, clair et accessible (ça aussi ça mérite mention).

Le comité de rédaction de la charte se compose d’une quinzaine de spécialistes en la question.

L’intérêt de cette charte est de normaliser une certaine pratique du KM d’une entreprise à l’autre (ce qu’elle réussi bien).

Il faut reconnaître qu’une charte reste un levier important pour la mise en oeuvre d’un processus de gestion de la connaissance : c’est un moyen de vaincre les freins humains à l’instauration du KM en entreprise. Bien appliquée, cette charte permet de faire collaborer ensemble les « knowledge workers » en valorisant l’aspect « échange des savoirs » et en luttant contre l’inertie typique quand il s’agit de « partager ».

En résumé, elle rend obligatoire:
– la traçabilité des activités
– l’identification des contenus produits
– coopération requise
– responsabilisation de l’information diffusée quant à sa complétude et sa pertinence

La présente charte insiste aussi sur la protection des données confidentielles et sur le respect des droits de propriétés intellectuelles. Elle précise l’obligation de garder confidentiel ses modalités d’accès et d’authentification (nom d’usager et mot de passe) : il s’agit de s’assurer correctement de l’identité de l’usager du système – clef de voute à la responsabilisation de l’employé.

Elle oblige la compagnie de maintenir le système « à l’état de l’art par des améliorations et des mises à jour régulières ». Quant on sait que l’ergonomie est le problème numéro 1, ce n’est pas une mince tâche de la « maintenir dans l’état de l’art »…

Ma préoccupation personnelle réside surtout dans sa contrainte contractuelle pour le travailleur d’être obligé de tout consigner (« Le non respect des règles définies dans la présente charte pourra entraîner la suppression immédiate du droit d’accès de l’utilisateur à l’outil de gestion des connaissances ainsi que des sanctions disciplinaires et/ou des poursuites judiciaires. (…)« ). Dans le cadre normal de ses activités, il n’y a peut-être rien à craindre. Mais je me méfie des fois des « bonnes intentions » des « grosses compagnies » 😉

Billet original sur http://zeroseconde.com

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Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

4 thoughts on “Charte du knowledge management

  1. Mais est-ce qu’une « charte » a valeur contractuelle ?

    Et peut-on raisonnablement passer son temps de travail à écrire ce qu’on pense, où à filmer ce qu’on fait ?

    Bon j’arrête mes questions « idiotes » et je m’en vais lire cette charte…

    😉

  2. Thierry, cette charte est très sérieuse et a valeur contractuelle.

    J’imagine très bien le contexte dans lequel les KM directors voudraient le voir appliquer : centre de service à la clientèle, force de vente, conseillers, stratèges, employés en impartitions, etc. Des endroits où on veut conserver la mémoire de l’entreprise et où la collaboration des employés est la plus faible (compétition,paresse, etc).

    Venant de la direction, je saisi très bien en quoi elle est séduisante.

    Du point de vue de l’employé, je m’amuserais à dire, si on me le permets : « merci de me faire participer au KM, mais j’aimerais aussi participer aux bénéfices ».

    Pour ce qui est d’enregistrer tout ce que l’on fait, disons que le principal défi serait justement que ce travail doit être mécanisé à l’extrème : appuyer sur un simple bouton pour filmer la rencontre; permettre un cc automatique sur les courriels vers un blog; reconnaître que 10% du temps est consacré à la rédaction, etc

  3. (Désolé, je n’ai vu ta réponse qu’aujourd’hui.)

    Mais ces idées d’utilisation ne sont pas contraires aux libertés individuelles ?

    C’ets moi qui suis parano ou ça sent le « flicage » ? ;-)))

  4. Thierry, côté juridique, je ne sais pas si c’est contre les libertés individuels. Mais ce que je sais, c’est que ça formalise drôlement le rapport à l’employeur. Je sais qu’en Amérique du Nord, le patronat a beaucoup plus de pouvoir que le salarié (par rapport à l’Europe notamment). C’est dans ce contexte que se situent mes craintes

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