Sur Peter sloterdijk net (encore), un petit texte politique pas si inintéressant (paru dans Libé en 2002):
« La grande vogue du « stratégisme » est aussi, inévitablement, une mode des dénominations collectives imprécises. De toutes les imprécisions qui, depuis le 11 septembre, se gravent dans les affrontements verbaux de l’opinion publiée, la plus courante est sans aucun doute aussi la plus nocive : c’est celle qui partage le champ de bataille en un extérieur terroriste agressif et un intérieur agressé et pacifique – celui-ci étant présenté sous des titres inclusifs comme « le monde civilisé », la « communauté des démocraties » ou, plus brièvement, « l’Occident ». Depuis un an, les éditorialistes, les ministres de l’Intérieur et les philosophes de la vie engagée nous délivrent des ordres de mobilisation pour un service actif dans la guerre civile sémantique qui secoue le monde entier. Ils le font tous en se référant à un « Nous » occidental global, naturellement forcé de répondre à l’agression unilatérale et injustifiée des nihilistes par la mise en place d’un cordon de protection synchronisé. »
S’en suit une délicieuse analogie technologique sur comment la « vieille Europe » a entendu l’appel du va-t-en-guerre W.Bush:
« S’agit-il de défauts d’audition chez le récepteur, d’erreurs de codage chez l’émetteur ? En tout cas, peu après la publication des premiers ordres du jour par le Quartier Général, des problèmes de communication sont apparus. De ce côté-ci de l’Atlantique, on ne parvenait pas à déchiffrer clairement le signal « Axe du Mal », qui paraissait pourtant sans équivoque à son départ de Washington. Les systèmes étalonnés à l’européenne renvoyaient presque sans exception le même signal d’erreur : « Message incompréhensible », « Nom de code erroné » ou « Instruction non admise ». De la même manière, lorsque la consigne « Accepter l’option : guerre préventive » fut envoyée par la centrale, les récepteurs européens sombrèrent un certain temps dans le silence ou réagirent par des réponses du type : « Consigne non exécutable avec nous ». »
L’amalgame que veut faire Bush de l’Occident ne tient plus la route dès que l’on voit qu’il existe deux Occidents (et peut-être même trois). Mais « (d)ans la culture actuelle du soupçon exacerbé, on considère de plus en plus souvent que les orateurs participant à la guerre civile sémantique ne disent pas ce qu’ils pensent – ou ce qui pense en eux. »
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